Depuis un peu plus de 10 ans, Guillaume Gallienne traverse le cinéma français avec un extraordinaire talent, son jeu si particulier en faisant un second rôle de choix des comédies françaises de "Jet Set " à "Fanfan la tulipe" en passant par le dernier "Astérix". C’était oublier un peu vite que derrière cette façade fantaisiste se cachait, également, un pensionnaire de la Comédie Française et un auteur exigeant. Pour son premier passage derrière la caméra, Gallienne a choisi (comme Maïwenn avant lui) d’adapter son spectacle où il déballait son histoire familiale et, plus précisément, sa relation pour le moins particulière avec sa mère, persuadée qu’il est homosexuel… au point qu’il se persuadera lui-même d’être une fille. Un sacré passif, propice aux séances chez le psy, que l’acteur traite avec légèreté et une pointe de vénération pour sa mère qui, malgré son caractère peu démonstratif et des propos souvent blessants (dont le fameux "Les garçons et Guillaume, à table !"), est dépeinte comme une icône. Seule l’explication finale dans la cuisine, entre cette mère enfermée de sa certitude et ce fils assumant son hétérosexualité, la fait tomber de son piédestal… mais c’est pour mieux lui déclarer, par la suite, un amour intact malgré l’incompréhension. Ce portrait presque idéalisé permet au film d’éviter le piège du "règlement de compte" dans lequel Maïwenn avait volontairement choisi de tomber avec "Pardonnez-moi". On ne s’étonnera pas, dès lors, que Gallienne ait refusé de confier ce rôle sacré à une actrice et qu’il ait fait le choix d’interpréter, à la fois, son propre rôle (où il se montre magnifique de candeur et brille par ses ruptures de rythme) et celui de sa mère. Et c’est peu dire qu’il se montre confondant de justesse et époustouflant de crédibilité dans ce second rôle… au point qu’on n’a jamais l’impression de se trouver face à un acteur travesti. Cette interprétation phénoménale (et césarisée à juste titre) a, cependant, un revers : celui d’éclipser un peu les seconds rôles. Ainsi, le père (joué par André Marcon) est expédié en deux scènes et les deux frères (Renaud Cestre et Pierre Derenne) tiennent plus du subliminal alors que leur rôle aurait pu être intéressant dans le quiproquo planant sur l’orientation sexuelle du petit dernier de la famille. Quant aux autres personnages, ils n’apparaissent pas assez à l’écran pour retenir l’attention, à part, peut-être, Diane Kruger dans un rôle caricatural mais amusant. L’interprétation de Gallienne est, donc, sans surprise, l’atout majeur du film mais, plus surprenant, son sens de la mise en scène brille par son originalité. En effet, le néo-réalisateur use d’effets de mise en scène intéressants (la vue subjective, les trois fils joués par des adultes même lorsqu’ils sont enfants…) et surprend par la pertinence de ses choix musicaux (dont l’excellente reprise de "Vous les femmes" par Arno). Mais surtout, Gallienne s’amuse à brouiller les cartes en naviguant entre réalité et onirisme (les apparitions impromptues de la mère sont souvent savoureuses) mais, également, entre film d’auteur (ce qui rappelle constamment les plans de l’acteur déclamant son texte sur scène) et comédie. A ce titre, mise à part une ou des scènes plus burlesques (le soin en cure thermal, la tentative de rapport gay…) qui font un peu bourgeois qui veut s’encanailler, l’humour du film est d’une grande finesse et peut s’appuyer sur des dialogues tout en décalage. Ce ton si particulier correspond parfaitement à l’image de Guillaume Gallienne mais colle, également, au film une étiquette "rive gauche". Il faut dire qu’on gravite dans un univers très bourgeois où la mère n’a pas besoin de travailler, où l’on envoie les enfants dans des universités étrangères et ou on consulte le psy comme va chez le coiffeur. Cet univers très "bourgeoisie parisienne" est renforcé par le sujet du film, très autocentré sur son auteur et ses problèmes existentiels, et par son rythme parfois incertain (surtout lors de certaines séquences étirées au-delà du raisonnable). "Les garçons et Guillaume, à table ! " n’en demeure pas moins une œuvre d’une formidable originalité qui a réussi à éviter le piège de l’austérité auteuriste en insufflant une fantaisie bienveillante et salvatrice à un sujet pas forcément propice à un tel traitement. Pour autant, et malgré le succès critique (voir la presse et la pluie de césars) et (plus surprenant) public du film, je n’irai pas jusqu’à dire qu’on est devant le chef d’oeuvre de l’année, ne serait-ce qu’en raison des limites que suppose un tel sujet.