Lors de la présentation à Cannes de "J'ai tué ma mère", Xavier Dolan annonçait que son prochain film traiterait de la transexualité, et particulièrement de la relation de l'homme qui va changer de sexe avec sa fiancée. Ce projet continue bel et bien à exister, et il prendra forme en 2012 sous le titre "Laurence Anyways" avec Philippe Garrel (qu'on entrevoit à la fin du film) et Monia Chikri. Entretemps ont donc pris place "Les Amours imaginaires", nées d'un road trip que Xavier Dolan, Monia Chokri et Niels Scheider ont effectué aux Etats-Unis. Frustré du report sine die du tournage de "Laurence Anyways", Xavier Dolan a écrit dans une urgence rageuse le scénario des "Amours imaginaires" à partir de la trame élaborée avec ses deux amis.
Je n'avais pas vu lors de sa sortie "J'ai tué ma Mère" ; conscient de cette lacune soulignée par le buzz de la présentation des "Amours Imaginaires" à Cannes, je l'ai vu depuis en DVD. Rattrapage utile pour pouvoir distinguer dans la présente critique ce qui semble d'ors et déjà être la marque de fabrique du pourtant très jeune Xavier Dolan (21 ans), et ce qui différencie ce deuxième film de son prédécesseur. Au chapitre des similitudes, on retrouve un goût Hongkarwaïen pour les travelings qui suivent au ralenti des personnages de dos sur des musiques occultant le son d'ambiance, référence accentuée ici par les robes vintage de Marie qui renvoient aux fourreaux chamarrés de Mme Chan, et par leur goût commun pour les chignons à la Audrey Hepburn.
Le style de Xavier Dolan se caractérise aussi par un sens du cadrage qui laisse beaucoup d'air au-dessus des personnages, à l'encontre de la sacro-sainte règle des tiers ; dans son deuxième film, il abandonne heureusement le systématisme du placement des personnages bord cadre, regard dirigé vers le hors champ. On retrouve aussi pêle-mêle les pauses narratives constituées par des séquences mettant en scènes des personnages face caméra, les poursuites dans les forêts resplendissantes de l'automne canadien, la maison au bord du Saint-Laurent et Musset.
Autre point commun, le soin apporté à la bande originale avec des chansons qui font écho à l'action ; ici France Gall ("Quand ils sont longs les jours de pluie, quand je suis seule quand je m'ennuie, que dans un rythme monotone au fond de moi ton nom résonne"), Indochine ("J'aime cette fille aux cheveux longs et ce garçon qui pourrait dire non"), Vive La Fête ("Que les filles sont méchantes quand elle jouent à faire semblant"), Isabelle Pierre ("J'ai deux amis qui sont aussi mes amoureux") et Dalida ("Bang bang, di colpo lei, bang bang, a terra mi getto"), sans oublier le prélude de Parsifal quand Francis disparaît dans l'escalier après la pulvérisation de ses illusions, brève et superbe scène.
Au rayon des différences, un scénario moins convenu et démonstratif que pour "J'ai tué ma mère" ; ici Dolan raconte comment deux êtres peuvent perdre le contact avec la réalité en projetant leur désir sur un troisième, sorte de Tadzio au profil du David de Michelange. Comme contrepoint à ces amours imaginaires, ou à cette imagination de l'amour, Dolan a intercalé des scènes de sexe sans amour des deux protagonistes avec des partenaires occasionnels, filmés avec des filtres monochromes, et des monologues pseudo-documentaires de personnages qui parlent de l'amour, virtuel ou réel, avec un accent joual à couper au couteau.
De ce synopsis contenu dans le titre, Xavier Dolan parvient à tirer un film assez complexe, où la forme virtuose compense et renforce à la fois la langueur monotone qui s'installe au diapason de ces deux personnages s'enfonçant dans le fantasme de leur histoire. Je comprends que certains soient agacés par le feu d'artifice des moyens utilisés (filtres, ralentis, stroboscope, flous, diaporamas), par le milieu bobo dans lequel baigne l'histoire, ou par certains stéréotypes, comme le personnage de la mère de Nico, jouée par Anne Dorval. Mais ce film tourné par un réalisateur qui a l'âge où en France on commence à feuilleter les prospectus d'entrée à la fémis porte en lui une cohérence, une maîtrise narrative et une harmonie plastique que peuvent envier nombre de réalisateurs chevronnés.
Critiques Clunysiennes
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