Comme il l'avait déjà fait avec Nonfilm, Quentin Dupieux propose à nouveau, cette fois sous couvert de l'histoire surréaliste d'un pneu animé de vie et d'envies meurtrières, une mise en abyme réflexive qui ausculte le cinéma sous un nombre d'angles impressionnant. Une portée d'écriture insoupçonnée qui lui a souvent valu le rejet, la critique, sinon le mépris, car sous-jacente et indirectement accessible, elle est restée cachée aux yeux de beaucoup. Mais après tout, Dupieux, qui s'amuse d'ailleurs de l'exigence du cinéma d'un David Lynch qui s'occupe plus de lui-même que se s'exposer à son public, a à mes yeux bien raison de privilégier cette forme abstruse qui cache ses idées pour mieux faire ressembler leur extraction, quand elle survient, à celle de pépites d'or. De confirmer ainsi toute la puissance de l'absurde comme vecteur cinématographique, comme Holy Motors - sorti deux ans plus tard mais que j'ai vu il y a quelques mois, d'où l'utilisation du passé dans la fin de phrase qui va suivre, attention c'est maintenant - me l'avait déjà suggéré. Dupieux se préoccupe tout même un poil plus de la relation entre public et producteurs que Leos Carax, un peu moins du processus créatif en lui-même. Le traitement, lui aussi, diffère dans les deux films, bien que chacun d'eux recèle une forme de poésie unique. Celle de Rubber, indéniable, s'appuie sur les propres contradictions du film et sur ce qu'il arrive à faire de son pneu un personnage à part entière, sans doute le plus humain de tous. La faible profondeur de champ des deux appareils photo qui filment l'isolent, en même temps qu'elles créent un rendu étonnant, empêchant souvent la projection à l'intérieur du décor. On semble donc confronté à une oeuvre qui se place sur plusieurs niveaux, rendant la mise en abyme trouble et étonnante. Et comme dans Steak, j'ai vraiment trouvé que la bande-son signée Dupieux lui-même (ou plutôt Mr Oizo, accompagné ici d'un membre des Justice) ne dépareille pas. Bref, une vraie petite claque, burnée, dépaysante et tout sauf dépourvue de sens. Dupieux, c'est le cinéma français comme je l'aime.