Rubber désigne tout ce qui fait la prétention de Quentin Dupieux : auto-persuasion d'avoir un grand talent qui se complet dans l'absurde (excuse des incohérences du Daim, à tout hasard), mépris de ses pairs et du public, répétition des mêmes clichés du fameux no-reason enfin évoqué pour faire comprendre à son spectateur trop idiot que son film n'aura finalement aucun sens. Un peu à contrario de Steak, qui nous lâchait librement dans un univers surprenant, pour le coup absurde en restant crédible et sensé, Rubber abandonne tout lien avec la réalité pour basculer du côté de l'absurde burlesque.
En terme de procédé artistique, c'était prometteur et engageait une liberté artistique intéressante quand on connaît le potentiel de folie et de grand n'importe quoi des films de l'artiste; s'il l'a fait en poussant très loin son délire, il manque cependant d'ambition : Dupieux réduit son oeuvre à une critique du public gratuite et grasse, mal présentée et des plus stupides, quand il développe par la suite un vide scénaristique immense et perturbant.
Effet réussi dans le sens où l'expérience n'aura pas laissé de marbre? Il reste que son écriture, navrante et bête, met en scène une société du spectacle et des vices, du voyeurisme et de l'ultraviolence jamais crédible ou convaincante, certes parodique mais toujours caractérisée n'importe comment au travers de ce cinéma en vue réelle, à sommet de montagne et permis par des jumelles.
C'est là qu'intervient le malin procédé du No-reason : face à l'absurde de la situation, on pourra difficilement critiquer les fautes d'écriture (ce passage ne mène nul part de manière inintéressante) et de goût. Non, concentrons-nous plutôt sur l'idée que Dupieux se fait des spectateurs, plus précisément de son public.
Présentés comme des êtres vulgaires, inutiles et constamment dans la critique, ils sont perçus par le spectateur véritable comme des humains infâmes, répugnants, plus proches du pulsionnel que de la raison. Dans l'idée qu'ils réagissent seulement instinctivement, il les filme porté par leur voyeurisme vicieux, à spéculer sur la mort des gens ou à pénétrer dans l'intimité de femmes seules et en danger, trépignant à l'idée de voir de nouvelles morts ultraviolentes.
Perdus dans le malsain d'un visuel qui serait devenu réalité, Dupieux pose sa vision d'un public constamment insatisfait qui n'attend qu'une chose, venir critiquer ses films. S'il s'érige avec un grand égo au dessus de ceux qui le font vivre, il le fait surtout en les rabaissant, en les insultant pratiquement : seulement intéressés, captivés par ce qu'ils peuvent voir à l'écran (ici, c'est à travers des jumelles), ces spectateurs ignares, vicieux, proches de l'animal vont finalement mourir de la merde qu'on leur file à ingérer, sans même se rendre compte qu'ils auront passé leur vie à se satisfaire du malheur des autres.
La réflexion aurait pu être intéressante et portée ses fruits niveau réflexion si Dupieux n'affichait pas autant sa supériorité : supériorité des cadres posés qu'il multiplie comme pour montrer qu'il est talentueux en filmant, supériorité de son nom au casting d'un film qu'il aura entièrement écrit et réalisé seul. C'est un auteur accompli, n'en doutons pas, mais qui n'est pas assez perché (du moins pas assez sincèrement) pour rentrer dans le propre terme qu'il vient de créer, le No-reason, qui se perçoit désormais plus comme une excuse pour le vide de ses films (passés ou présents), plutôt qu'un véritable thème de réflexion autour de l'intérêt de faire des films qui se tiennent, très codifiés, qui ne sortent jamais des sentiers battus.
Dans sa volonté de critique son spectateur et de montrer qu'il sait faire de l'humour noir, Dupieux a omis de faire ce que l'on attendait en premier lieux : un film absurde, soit qui ne respecte pas les codes dans lesquels il s'inscrit, qui change de manière de narrer l'histoire et ne se contente pas de jouer sur des situations improbables pour surprendre celui qui le verra. L'absurde de la forme n'aura jamais contenté ceux qui le cherchaient sur le fond, et n'aura également jamais permis à un film de véritablement marquer les esprits.
C'est au final ce qui est arrivé à Rubber, que l'on considère aujourd'hui plus comme de l'humour noir cynique qu'en tant que film absurde original et marquant.