Quentin Dupieux est un drôle de bonhomme, et c'est peu dire qu'il le sait, et qu'il cultive savamment sa mythologie. Les ''raisons'' de l'artiste électro devenu cinéaste restent volontairement floues : faut-il déceler une ambition démesurée ou une simple inconséquence rigolarde dans ses dingueries cinématographiques? Après un premier essai introuvable et relativement illisible ("Non-film"), puis un premier long plus réjouissant et inclassable ("Steak"), Rubber repose la question et, bien évidemment, n'aide pas à y voir plus clair. Contrairement à son film précédent, qui dévoilait son étrangeté bourrée de malaise progressivement, planquée sous une enveloppe trompeuse de grosse comédie, "Rubber" s'affiche d'emblée comme une « expérience » hors des sentiers battus : synopsis impossible, mise en scène à l'arrache avec un appareil photo numérique, artifices clairement conceptuels... Nous voilà prévenus. C'est donc l'histoire de Robert, pneu s'éveillant à la vie et zigouillant tout ce qui bouge, éclatant la tête des passants par la seule force de sa concentration, sous les regards avides d'une poignée de ''spectateurs'' perdus dans le désert et pendus à leurs jumelles. Point de départ alléchant et minimaliste, qu'il va bien falloir faire tenir sur 1h30 de pellicule : c'est tout le problème que "Rubber" semble (se) poser, faisant mine de tromper son monde en agrémentant son slasher d'une bonne grosse mise en abyme, parmi les plus explicites qu'il ait été donné de voir sur un écran. Les types avec les jumelles, donc, observent et commentent ce qu'ils voient, comme nous le ferions nous-mêmes. Non content de pointer du doigt notre statut de voyeur, à coups de regards caméra ou de personnages en miroir, Dupieux va nous l'expliquer par le menu, le temps d'une scène d'ouverture génialissime où un shérif vient nous déballer un monologue sur le sens et le nonsense du 7e Art (et aussi de la vie, tant qu'on y est). Aberration d'une gratuité totale, mais où se perçoit déjà toute la beauté esthétique (un décor sublime de chaises fragiles, disposées dans la poussière et le vent) et sans logique (le texte de Stephen Pinella est vraiment hilarant) du projet Rubber. Éloge énamouré et non déguisé à l'art de l'Absurde : peut-on rêver, a priori, d'un programme plus pur et plus beau? Les choses ne sont pourtant pas si simples. Dupieux va donc mélanger les données de ses deux précédents films, la fiction nonsensique savoureuse à la "Steak" et la réflexion spéculaire tirée de "Non-film" (dans lequel un réalisateur et des comédiens, face caméra, ne parvenaient pas à ''faire'' le film que nous étions en train de regarder). De prime abord, la face pseudo-''métaphysique'' de "Rubber" ne nous intéresse guère, surtout au regard de ce que le film, par ailleurs, fait miroiter (un massacre perpétré par un pneu! Waow!) ; et pourtant, loin de simplement « boucher les trous », cette seconde face est celle qui décevra le moins, répondant à la première (un peu faiblarde) jusqu'à lui donner toute sa sève...
(la suite de ma critique sur mon blog : http://mon-humble-avis.blogs.allocine.fr/)