A la fin de la projection d'Incendies, il est tentant de se demander à quoi donc peut ressembler la pièce de Wajdi Mouawad dont le scénario du film de Denis Villeneuve est tiré ? Et de penser qu'il doit s'agir d'un véritable chef d'oeuvre, sans doute plus complexe et prenant que ne peut l'être son adaptation, puisque privé d'images et nécessairement porteur d'une force évocatrice inimaginable, à travers ses seuls mots. A l'écran, qu'on se rassure, Incendies ne ressemble pas à du théâtre filmé, loin de là. Ses faiblesses, relatives, viennent d'une surexposition narrative, d'un excès occasionnel d'images trop léchées, portées par la musique de Radiohead. L'impression générale ne pâtit pas des quelques réserves que l'on peut exprimer et il est difficile de ne pas être impressionné par la maîtrise totale de Denis Villeneuve de son récit, ou plutôt de ses récits. Deux couches d'époques se superposent, l'une contemporaine, à la recherche de la vérité pour un fils et une fille sur une mère au passé inconnu ; l'autre sur cette femme, bien des années plus tôt, alors qu'elle était en première ligne dans la guerre civile qui embrasait un pays du Moyen-Orient. La construction du film est diabolique, alternant les deux périodes, et donnant toujours un temps d'avance au spectateur sur les "enquêteurs". Il y a un léger déséquilibre entre les deux parties qui finissent pourtant par s'imbriquer à la perfection jusqu'à la dernière révélation (oui, le film est aussi un thriller). Incendies, au-delà d'être une oeuvre sur la recherche de ses racines, est aussi, et peut-être avant tout, un film sur le Liban, même s'il n'est jamais nommé. Sur son histoire tragique, ses blessures indélébiles, la souffrance d'un pays où un peuple s'entretue avec une rage infinie. Loué soit Denis Villeneuve qui, à de rares scènes près, fuit le lyrisme dramatique et le pathos indécent. Et grâce soit rendue à Lubna Azabal, l'interprète de cette femme qui représente à elle seule toutes les contradictions et la cruauté d'un pays déchiré. Son jeu, intense et sur le fil des émotions, est proprement époustouflant.