Ouah !
L'idée de passer 4 heures 26 dans une salle de ciné pour regarder le même film m'inquiétait un peu. Ou le film est bien, et c'est le pied. Ou il est ennuyeux, et c'est le calvaire absolu.
Heureusement le dernier Ruiz est un bijou et on ne s'ennuie pas une seule seconde.
Au niveau de la forme, c'est d'un grand classicisme. Ruiz a remisé ses effets au placard. Enfin presque : subsistent ici ou là une plongée ou une contre-plongée intégrale, un regard caméra étonnant, un effet de surimpression, une image déformée. Mais globalement Ruiz utilise sa caméra comme un pinceau qui caresse les acteurs : lents et courts travellings circulaires ou transversaux, caméra qui traverse les murs à l'ancienne. On est dans du classique, mais très haut de gamme, loin d'une qualité de téléfilm (et même si le film va être montré en épisodes sur Arte). Les cadres y sont éblouissants et certains mouvements de caméra absolument virtuoses.
Sur le fond, l'épopée à laquelle nous convie le film est un délice qui rappelle volontiers l'atmosphère des romans de Dumas. On y croise un jeune orphelin qui découvre progressivement la vie des gens qui l'entourent, un prêtre qui ne l'a pas toujours été, une jeune femme française prête à tout pour se venger d'un homme qui l'a abandonnée, un brésilien qui n'en est pas un, un mari qui s'acharne à faire mourir sa femme à petit feu, un père qui finit aveugle après avoir raté son suicide, etc.
Comme dans les Mille et une nuit, ou dans Le manuscrit trouvé à Saragosse, les histoires de chacun s'enchaînent en se répondant, se complétant comme un puzzle parfait et diabolique. On n'en finirait pas d'énumérer les symboles d'espionnage, d'observation, d'illusion, de malentendu que recèle le film : c'est un festival de faux-semblants romanesques. Celui qu'on croit être méchant s'avère pardonnable ou même innocent, et inversement.
Tout cela est conté merveilleusement par un cinéaste qu'on sent au sommet de son art, débarrassé de ses coquetteries et entièrement concentré sur sa substance narrative. Les acteurs et actrices (Clotilde Hesme et Léa Seydoux en tête) sont admirablement dirigés.
Un beau moment si vous aimez l'ambiance XIXème et les intrigues feuilletonnantes. D'autres billets sur Christoblog : http://chris666.blogs.allocine.fr/