Bon, soyons clair : je n'aime pas les biopics, et Claude François n'a jamais été ma tasse de thé. Quand j'évoque la chanson des années 60 et 70, les noms qui me viennent à l'esprit sont ceux de Brel, Brassens et surtout Ferré, et je faisais partie de cette salle de militants des Comités Chili au Palais des Congrès qui scandait "Mike Brant, Mike Brant" quelques jours après sa défenestration pour sortir de scène Yves Simon dont les paroles des "Gauloises bleues" ne leur semblaient pas suffisamment porteuses d'un message de classe. Alors, me direz-vous, pourquoi être allé voir ce biopic sur le roi de la choré ringarde et du pantalon pattes d'éph' ? Parce qu'il existe des exceptions heureuses à la malédiction des biopics, comme "Gainsbourg, vie héroïque", et parce qu'une lecture hâtive des étoiles d'Allociné m'avait laissé croire que la critique était très majoritairement positive. Cela me servira de leçon, et m'apprendra qu'Allociné peut attribuer 3 étoiles sur 5 à la critique du Monde quand celle-ci qualifie pourtant un film de décevant et déconcertant.
Le film s'ouvre sur une scène de chorégraphie de Cloclo filmée au ralenti, avec pluie de paillettes argentées, surimpression et son étouffé, bande-annonce du clinquant kitsch que nous allons devoir subir durant 2 h 28 jusqu'à la scène de l'applique salvatrice. Puis le premier tableau (le film dont l'épaisseur narrative évoque l'intensité rédactionnelle de Salut les Copains est composée d'une suite de tableaux, juste structurée par les thèmes récurrents du rejet paternel, de l'addiction au jeu maternelle et du complexe vis-à-vis de The Voice) nous montre la mère enceinte consulter une voyante qui lit dans le marc de café que ce sera un fils et que son nom s'étalera en lettres de feu ; c'est tout juste si elle ne donne pas l'adresse de l'Olympia ! Ce premier scopitone annonce l'enfilage de tableaux de ce type : l'expulsion d'Egypte, la malédiction paternelle devant un Cloclo de 17 ans joué par un Jérémie Renier de 31 ans bien tapés qui couine "Papa !" avec la voix d'un ado privé de scooter, ou la conception de "Comme d'habitude" au bord du bassin de Dannemois, avec le chanteur populaire qui dit à son parolier : "Tu trouves des paroles sur la souffrance d'un mec", avant de pondre lui même "Je te lève, et je te bouscule" avec l'inspiration d'un Amadeus dictant le Requiem à Salieri, puis de plonger (au ralenti, bien sûr) dans la piscine.
On se demande ce qui a pu séduire Florent Emilo Siri dans ce projet. Souvent les biopics répondent à une intention édifiante, surtout quand ils sont bâtis sur le schéma de "Ray" ou de "Walk the line " : pain noir, ascension, déchéance, rédemption et renaissance du phénix. D'autres vont isoler un moment de la vie du héros pour en dire quelque chose, tel Gus Van Sant avec " Harvey Milk" ou Antoine De Caunes avec "Coluche, l'histoire d'un mec ". D'autres encore choisissent une approche poétique, voire onirique, comme "Gainsbourg, vie héroïque". Ici, rien de tel, encore moins une approche hagiographique. On a l'impression que ce que Florent Emilio Siri a retenu de la vie de Claude François se résume à des traits éminemment antipathiques : la volonté d'humilier les plus faibles, l'appétit de pouvoir, le goût du bling-bling et l'absence de valeurs personnelles en contradiction avec un discours moralisateur. Ce portrait finalement très sarkozien pourrait fasciner, s'il y avait plus d'analyse dans les raisons d'un tel comportement. Las, au delà de la théorie de l'Eldorado perdu de l'enfance suggérée par le flash-back du Canal de Suez, rien ne nous éclaire sur un comportement aussi odieux et rapidement l'agacement se superpose à l'ennui.
Il est de bon ton de s'extasier sur la performance de Jérémie Rénier, comme auparavant sur celles de Marion Cotillard ou de Vincent Cassel. Outre le ridicule déjà évoqué des scènes de jeunesse, son interprétation ne m'a pas enthousiasmé, loin de là. On peut lire ici et là toutes les séances de danse et de mise en forme qu'il a suivies pour préparer ce rôle : le problème est que ça se voit trop à l'écran, que ce qui reste est finalement l'image d'un pantin qui s'agite, et qu'on se demande constamment si le vide de l'acteur correspond intentionnellement au vide du personnage, réduit à un type maniaque et atrabilaire. Plus intéressant est la composition de Benoît Magimel, méconnaissable en Paul Lederman, et Joséphine Japy soutient la comparaison avec Sara Forestier dans son interprétation de France Gall.
Cette chronique longuette et boursoufflée sur la destinée du chanteur mal-aimé souligne s'il en était besoin combien les biopics peuvent constituer un placebo au manque d'imagination du cinéma français, qui tel Claude François fasciné par Sinatra cherche l'inspiration Outre-Atlantique. Heureusement, il reste quelques réalisateurs tels Lucas Belvaux ou Benoît Jacquot pour persister à trouver des sujets originaux qui questionnent l'intelligence de leurs spectateurs. Que voulez-vous, on ne se refait pas : je suis plus intéressé à découvrir l'effet du témoin ou la place de l'hypnose dans la sujétion qu'à apprendre pourquoi Cloclo a simulé son évanouissement lors d'un concert à Marseille.
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