Le meilleur moyen de savoir si l'on a apprécié un film, finalement, est certainement la trace qu'il nous laisse. Plusieurs jours après avoir vu "Cloclo", j'ai bien du mal à me débarasser de son souvenir, tellement celui-ci est pregnant. Pourtant, une biographie sur grand écran de Claude François, ça me disait pas trop au départ... Peut-être à cause des deux précédents récents sur Edith Piaf et Serge Gainsbourg qui m'avaient laissé plutôt dubitatif, surtout celui consacré à l'homme à tête de chou. Et puis quoi, Claude François c'était pas mon époque... Et pourtant, je suis sorti bouleversé par la narration de cet incroyable destin. Je ne crie certes pas au chef-d'oeuvre, mais cette évocation m'a parlé, m'a touché, m'a travaillé, m'a retourné. Il faut déjà dire qu'avec Florent Emilio Siri, on a un sacré as derrière la caméra. Spécialiste du film d'action (étiquette peut-être collée trop vite), c'est d'abord étonnant de le retrouver aux manettes d'un tel projet mais c'est en définitive un atout majeur à la réussite de l'entreprise. Son parti pris est d'ailleurs simple : dérouler les faits marquants de la vie de son héros de manière chronologique. Contrairement à Olivier Dahan qui avec "La môme" avait voulu nous épater avec moults flashbacks. Ou à Joann Sfar qui avait inventé un double imaginaire à Gainsbourg, pour une histoire teintée d'onirisme mais qui désarçonnait cruellement le spectateur. Autant de clichés pour éviter à tout prix de raconter une aventure linéaire mais qui avaient rendu à chaque fois le propos trop superficiel et trop abscons pour m'émouvoir. Cette simplicité (je dirais même plus : cette honnêteté) colle finalement bien d'ailleurs à la musique et aux mélodies du chanteur populaire et on ne peut que louer le réalisateur d'avoir pris cette voie. Si cette oeuvre nous parle aujourd'hui, c'est quez Cloclo est en fin de compte un chanteur intemporel, transcendant les générations. Et le film le montre bien, il a duré parce qu'il a su constamment se renouveler, tout à la fois en innovant ou en prenant le virage disco dans les années 70. Et à l'heure actuelle, quel que soit l'âge que l'on a, on connaît (plus ou moins je vous l'accorde) tous l'artiste et pas une soirée, pas un réveillon, pas un mariage ne se passe sans que l'on entende "Alexandrie Alexandra", "Je vais à Rio" ou "Magnolias for ever". La musique justement : elle nous donne pendant deux heures et demie l'envie de danser mais également la chair de poule avec "Comme d'habitude" que l'on entend souvent ici et qui nous provoque des frissons de par son intensité. Siri a l'air de beaucoup insister sur cette chanson mais je pense qu'il a raison, car elle nous montre aussi le génie du bonhomme qui, s'il a fait des tonnes de reprises qui ont lancé sa carrière, a quand même créé le tube le plus interprété au monde avec un nombre infini de versions. Enfin, la grande force de ce fillm, c'est de ne pas vouloir absolument nous donner une image lisse du personnage, mais au contraire de nous montrer l'aspect obscur d'un homme parfois cynique, dur, exigeant, et aussi ses déchirures, ses douleurs, inhérentes par ailleurs au saltimbanque qui est forcément torturé. Quand on sait que cette oeuvre est produite par ses fils, c'est encore plus fascinant de voir ce portrait livré sans concession, ce qui du coup nous rassure sur la véracité du propos. Ajouté à cela la performance de Jérémie Renier qui est éblouissant et qui paraissait destiné à jouer ce rôle, ainsi que de savoureux plans-séquences assez ludiques, on ne peut qu'être bluffés par cet exercice de style pour moi pleinement réussi et sûrement inoubliable. Après, certains côtés frôlent parfois la caricature (notamment le personnage interprété par Benoît Magimel qui pour l'occasion retrouve Florent Emilio Siri après "Nid de guêpes" et "L'ennemi intime"), mais ce n'est rien par rapport à l'émotion et au bonheur que cela m'a procuré. Ah, Cloclo, si tu revenais...