LES NEIGES : C'est le rêve, le sommet recherché, le fantasme du lointain et la fuite parfois. C'est aussi tout ce que refuse Marie-Claire et Michel ( merveilleux Jean-Pierre Darroussin, le rôle semble lui coller à la peau ), couple heureux, politiquement engagés et accrochés à leurs convictions ; idéaux et moralité qui vont les pousser à comprendre ( chose de plus en plus rare ) les circonstances qui ont pu entrainées un jeune ouvrier fraichement licencié à les agresser. Ici, c'est le retournement de situation, car le cadre était posé ( malgré la perte récente d'emploi ), joyeux, une famille uni, des amis, des repas, une pergola, le soleil et la mer. Rien ne perdurera de cette trop onirique vision, l'utopie est à tuer et pourtant elle viendra d'ailleurs. Car « Les neiges du Kilimandjaro » est un film d'une subtilité et d'une intelligence rare ; moral sans être moralisateur, intelligence sans être intellectuel, touchant, profond sans verser dans le pathos le plus primaire et cela pour plusieurs raisons : La première c'est l'humanité ( le poète d'Hugo l'est ) toute entière que l'œuvre habite, jusque dans les personnages, cette envie de ne pas s'engluer dans la vengeance animale, la bêtise humaine. Ensuite c'est la manière de ne rien laisser au hasard, de rendre compte des tenants et des aboutissants de l'histoire, de se placer sur tous les fronts, chercher les vérités, jamais dans l'absolu, dans les faits, c'est là quelque chose de trop souvent oublier ; un Homme n'agit que très rarement sans raison et ce sont ces raisons qu'il est compliqué d'appréhender. Car le problème est bien plus lointain et douloureux que ne le sont les simples billets dérobés : c'est en fait et aussi un film sur l'incompréhension sociale tout d'abord et humaine ensuite. Incompréhension entre les ouvriers, entre les différentes strates sociales, entre tous puis la peur que cela engendre, la haine, le ressentiment et la violence, le rejet, le monde. Un propos militant en somme englobé par une humanité immense, un souffle d'optimiste finale à travers malgré tout un triste constat de l'individualisme actuel, la société retranchée dans ses fondations les plus basses, là où les Hommes ne se reconnaissent plus entre eux et ni eux-mêmes. Hugo disait, pour le citer, dans « Claude Gueux » : « Cette tête de l’homme du peuple, cultivez-la, défrichez-la, arrosez-la, fécondez-la, éclairez-la, moralisez-la, utilisez-la ; vous n’aurez pas besoin de la couper. » : c'est à jamais plus que jamais et pour toujours d'actualité. Et nous ? Sommes-nous assez 'bon' pour faire que ce film ne soit pas une vulgaire œuvre à classer dans les rayons d'un magasin ? Je ne crois pas... Des neiges vite désespérées, elles seront.