On aime Robert Guédiguian pour sa morale désuète, pour son idéalisme coco dépassé, pour la lumière de l'Estaque où l'on pense que la misère sera moins pénible au soleil, et son petit peuple; les couples sont stables, les familles sont unies, on sait être heureux d'une après midi à la plage et d'un petit rosé sous une pergola, c'est comme cela qu'ils supportent la dureté de l'existence ouvrière; bien que son oeuvre soit inégale, tombant parfois dans le cucuconcon, et que son meilleur film ne soit pas du tout son genre, ce superbe Promeneur du Champ de Mars....
Là, accrochez vous, c'est du Guédiguian au cube. L'Huma va applaudir des mains et des pieds, mais aussi la Croix, tant les bons sentiments dégoulinent. Faut avoir le coeur bien accroché pour supporter toute cette guimauve, mais en même temps, on marche: la magie Guédiguian joue à plein...
Marius et Jeanette, à moins que ce ne soient Robert et Ariane..... non, c'est Michel (Jean-Pierre Darroussin) et Marie-Claire (Ariane Ascaride) mènent donc une vie paisible, la soeur de Marie Claire, Denise (oui, il y a encore des films où les héroïnes s'appellent Denise.... Marilyne Canto) a épousé Raoul, l'ami d'enfance de Michel (Gérard Meylan, évidemment). Michel est licencié après un tirage au sort, validé par le CGT, à un âge où il a peu de chance de retrouver du travail. Délégué syndical, il aurait pu s'abstraire du tirage mais non, les passe-droits c'est pas son genre. Bon, il s'occupera un peu plus des trois petits enfants, quant à Marie Claire, elle est aide ménagère pour des personnes agées. Tout cela pour dire qu'ils ne roulent pas sur l'or, mais ils sont propriétaires de leur maison avec terrasse vue sur la mer, et ils ont presque honte de se sentir bourgeois..... Voyez, on est loin, loin, loin du Fouquets.
Pour leur trente ans de mariage, la famille et les potes de la CGT organisent une grand fête, eu cours de laquelle on leur offre des billets pour un séjour en Tanzanie, et l'argent qui va avec. Quelques jours après la fête, les deux couples sont sauvagement attaqués, brutalisés et dépouillés, billets, argent, cartes de crédit. A cause d'une BD qui a été prise également, Michel va très rapidement se rendre compte qu'un de ses agresseurs est Christophe (Grégoire Leprince Ringuet) un des jeunes ouvriers licencié en même temps que lui et qui participait à la fête, et le dénoncer. Alors que Denise, qui a été très traumatisée par l'agression et peine à s'en remettre et Raoul s'en félicitent et lui souhaitent un max de prison, tout comme les enfants du couple, nos deux saint laïques vont commencer à déprimer, surtout lorsqu'ils comprennent que Christophe avait la charge de ses deux petits frères, la mère vivant sa vie de mec en mec. Pour Michel, c'est aussi la remise en cause de tout ce qui a été sa vie, son engagement syndical; Christophe lui a craché à la figure qu'il n'avait fait que pactiser avec le patronat. Il croyait se dévouer pour les autres, et voilà qu'il passe pour un nanti? Ce tirage au sort, n'était ce pas une bêtise, la solution de facilité? Il aurait fallu lancer une grêve, poursuivre la lutte. Oui, c'est un monde de certitude qui s'écroule.
Voilà le point de départ d'une histoire dans laquelle les esprits modernes et ricaneurs auront du mal à rentrer. Mais, en même temps, elle montre très justement l'évolution de la classe ouvrière, entre les anciens avec leurs valeurs fortes de travail et de solidarité, et les jeunes déstructurés qui savent que, de toutes façons, du travail, il n'y en a plus. Michel, il date du temps de Duvivier: les congés payés, les beaux dimanche au bord de l'eau, dans le trémolo des p'tits zoizeaux... Christophe, c'est: ma pomme d'abord, moi, me syndiquer, ça va pas la tête? Raoul symbolise bien tous ceux qui font le grand écart entre la carte de la CGT et le vote FN, parce que l'insécurité, c'est plus possible.... Quant aux enfants, ils ne comprennent pas l'idéalisme et les scrupules de leurs parents.
Mine de rien, c'est bien un tableau désenchanté de notre époque que nous peint Guédigian. Comme les "pauvres gens " de Victor Hugo qui, dit il, l'inspira, Michel et Mari Claire font évidemment le bon choix -le choix chrétien, mon cher Robert! de choisir la solidarité à la place de la haine. Qui, en 2011, est capable de les suivre? Sans commentaires.