On pourrait reprocher aux frères Dardenne de toujours faire le même type de films. Le fait est qu'ils se situent immanquablement dans les mêmes lieux un peu gris, dans des climats sociaux difficiles, avec des personnages en souffrance aux trajectoires contrariées.
Ce type de film est donc difficilement comparable avec des oeuvres au budget colossal, misant beaucoup sur des effets visuels/spéciaux, des lumières extraordinaires, des sentiments étirés comme la guimauve ou triturés à des sauces d'un mysticisme douteux (évidemment, je ne pense à aucun film en particulier). Non, ici on est dans le réel, il n'y a pas de place pour l'artifice. Cela plaît, cela touche, cela lasse, cela décourage parfois, les réactions contrastées sont compréhensibles.
Personnellement j'apprécie ces films, même s'ils peuvent être dans la répétition. Parce qu'ils montrent des émotions difficiles de manière subtile et avec des moyens simples. J'avais vu "Rosetta" à sa sortie en salles, que j'avais beaucoup aimé, même si (et sans doute parce que) la caméra à l'épaule m'avait littéralement épuisée et que le film était choquant de dureté. Les thèmes de "L'enfant" m'avaient également émue.
Les personnages de leurs films sont en lutte permanente, contre à peu près tout ce qui les entoure. Quand ce n'est pas le travail, c'est la famille, quand ce n'est pas la famille, c'est le quartier et ceux qui l'habitent, quand ce n'est pas le quartier c'est la société inhumaine, matérialiste, de consommation qui les englue dans des besoins qu'ils ne pourront satisfaire qu'au détriment des meilleurs de leurs sentiments. Ils sont démunis, déhérités, pourtant ils n'ont de cesse de se heurter à cette réalité qui les dépasse avec un sens de la débrouille stupéfiant. Ils deviennent les incarnations de toutes ces luttes. Et selon moi, ce sont ces luttes, qu'elle soient justifiées ou non, perdues d'avance ou pas, que les frères Dardenne savent filmer.
Dans le Gamin au vélo, le jeune Thomas Doret - doué, buté, surprenant - envisage cette lutte de tous les instants comme un jeune animal hargneux (le surnom "Pittbull" lui va comme un gant), s'accroche autant qu'il blesse, parce qu'il ne peut pas comprendre que le peu qu'il a lui soit enlevé. Il ne peut admettre de ne pas avoir de nouvelles de son père, il ne peut accepter de ne plus avoir son vélo. Et, sans sentimentalisme aucun, le film nous fait douloureusement prendre conscience de toutes les choses "évidentes" que beaucoup d'enfants n'ont pas, ou auxquelles ils doivent parfois s'accrocher pour ne pas les perdre.
Lorsqu'il trouve un certain équilibre, il s'y réfugie mais cherche alors immédiatemment s'il ne peut pas s'aventurer en dehors de ce territoire connu pour tirer encore plus profit de la situation, et surtout plus de choses matérielles. Car au fond, s'il refuse affectivement d'intégrer l'instabilité du père et son incapacité à le prendre en charge, ses agissements prouvent qu'il sait ne pas pouvoir compter sur lui. Et la détresse d'un enfant débrouillard est une manne que certains repèrent immédiatement et cherchent à exploiter.
La lutte devient un apprentissage douloureux, un choix permanent (souvent non mesuré) entre risque et sécurité, entre douleur et facilité, entre incertitude et acquis.
Les scènes de vélo, avec pour seuls sons les bruits de l'air dans les rayons du deux roues et frôlant les oreilles du garçon, donnent une très belle et touchante sensation de liberté.
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