C'est la première fois que les Dardenne filment une star. D'habitude, ils ont révélé des acteurs qui sont devenues des stars (Jérémie Rénier, Olivier Gourmet, Emilie Dequenne), mais jamais encore ils n'avaient filmé quelqu'un d'aussi connu que Cécile de France au moment où ils la filment. J'avais peur car je n'avais jamais aimé le travail de cette actrice. Peut-être tout simplement parce qu'elle n'avait jamais été filmée.
Les Dardenne ne l'appréhendent pourtant pas comme une star. Ils en font une femme simple, Samantha, coiffeuse d'une petite ville belge, elle se sape comme une pouf, se coiffe comme une pouf, mais elle a un grand cœur et des rides apparentes (ça fait un bien fou de les voir, ça contribue même à la rendre désirable). Hé bien croyez-le ou non, les frangins parviennent à en faire une actrice magnifique, juste dans chaque scène, émouvante sans jamais en faire trop.
Elle n'est pas la seule à bien jouer. Outre l'apparition des amis Olivier Gourmet et Jérémie Rénier (absolument extraordinaire, comme bien souvent, mais alors là, attention), il y a surtout ce gamin, encore une découverte incroyable du aux talents de "casteurs" des cinéastes. C'est lui qui prend littéralement le film à bras le corps, qui en dirige presque la mise en scène à grands coups d'impulsions fulgurantes stoppées par des scènes de mutismes tout aussi fortes.
C'est assurément un grand film, grand film de cinéma j'entends, au sens de mise en scène pure, sans artifice aucun. Enfin, aucun... il y a pour la première fois (si je ne m'abuse) de la musique dans un film des Dardenne. 5 secondes, par plus, qui reviennent 3 fois, d'un leitmotiv symphonique qui intervient à trois temps forts du récit. Leur utilisation est aussi intelligente que celle qu'ils font de Cécile de France. Ils savent l'utiliser et n'en font pas trop avec.
Au delà de ça, c'est aussi un très grand film de sens. On dit souvent que les Dardenne sont des gens qui font des films sociaux; mais je ne suis pas d'accord avec cela. On n'est ni chez Ken Loach ni à la Sécu. Ce qui les intéresse, ce n'est jamais le social, mais les gens. Le social n'est qu'un décorum, celui où, en cinéastes documentaires, ils ont commencé leur carrière. Depuis qu'ils font de la fiction, depuis le magnifique La Promesse auquel Le Gamin au Vélo ressemble beaucoup, et pas que pour la tenue rouge et le deux roues du jeune homme (d'ailleurs, l'adolescent de La Promesse c'était Rénier, ici père de l'enfant (qu'on a vu naitre dans L'Enfant d'ailleurs, tout se suit et s'imbrique magnifiquement dans cette filmographie d'une exemplaire cohérence)... Depuis qu'ils font de la fiction, donc, ils ne s'intéressent qu'aux gens, et font le même beau et flamboyant cinéma qu'on pouvait faire à Hollywood dans les années 50, mais avec un peu plus de vrai dedans, du mélodrame. Celui-ci est sublime, et travaille la question du père, de la filiation, de la recherche de ce père et du conflit entretenu avec icelui, avec autrement plus de finesse et de sensibilité que le film de Malick, justement, qui, à mes yeux, ne fait qu'effleurer cette question sans jamais la traiter vraiment.
Le Gamin au Vélo, malgré son titre et son affiche pas franchement ragoutants est pourtant l'un des plus beaux films vus cette année, placé sous l'ombre bienveillante de Pialat. Il a la même rage de l'enfance, la même douleur de vivre, et la même soif de s'en sortir coûte que coûte, malgré la souffrance.