Spoilers sur le film, Seven, Zodiac et The Social Network.
Ma critique : le Clingo qui adorait Fincher ( bon tout le monde ne fait pas des intros aussi impressionnantes que celles du réalisateur ).
Après l'attribution massive d'Oscars à The Artist en février dernier, on peut se demander si l'Académie n'aurait pas mieux fait de récompenser un film qui, au lieu d'honorer le septième art en en faisant simplement son sujet, rend hommage au cinéma par le déploiement des moyens qu'il met en oeuvre. Ainsi, The Girl With The Dragon Tattoo ( le titre original est assez fidèle au fond du film pour que l'on ne l'oublie pas, on y reviendra ) aurait-il raflé quelques récompenses. Il y a dans le film de Fincher ce que le cinéaste fait depuis quelques années - 2007 plus précisément et Zodiac - soit du grand cinéma. Techniquement irréprochable, l'art du réalisateur a ceci de quasiment miraculeux qu'il nous est offert avec une éclatante régularité et qu'il ne néglige jamais les scénarios qu'il se charge de porter à l'écran. En somme, Fincher offre la quintessence du cinéma américain : allier une forme réfléchie à une efficacité totale à raconter des histoires. Passionner par la plastique et la narration, être à la fois au service de l'histoire et à celui de l'image, les faire se confondre avec une maestria peu commune. Et parler de miracle en évoquant le cinéaste n'est pas de trop quand on sait qu'il vient de la publicité, activité peu encline à développer un propos.
Chez Fincher, les fins sont peu heureuses pour les personnages ( oui, commençons par la fin ). Qu'il s'agisse des tragédies personnelles de
Brad Pitt dans Seven et de Mark Zuckerberg dans The Social Network, ou d'une enquête qui échoue dans Zodiac
, les conclusions sont l'aboutissement cohérent d'une noirceur imprégnant l'oeuvre du réalisateur. Dans un premier temps, The Girl...semble échapper à ce passage inévitable puisque
l'affaire est résolue et que Michael Blomkvist regagne sa légitimité dans l'affaire Wenneström.
Mais la logique finchérienne est cruelle et ne laissera pas tout le monde indemne, en l'occurrence le personnage de Lisbeth Salander. Déjà peu épargnée au sein du film - et c'est peu de le dire - elle se retrouve un peu plus coincée dans sa solitude. Et si le titre original ( nous y revoilà ) est celui que l'on connaît, c'est peut-être d'abord pour se démarquer de la première adaptation du livre, mais surtout pour dire que ce qui nous intéresse précisément ici est donc cette fille au tatouage de dragon. Et le personnage est d'autant plus remarquable que le cinéma de David Fincher nous avait jusqu'alors habitués à des portraits masculins dans sa large majorité. Mais déjà, dans The Social Network, tout partait du personnage de...Rooney Mara. Ici, l'actrice s'échappe d'un second rôle pour interpréter un personnage de tout premier plan. Rejetée par la société, déviante, hors des conventions, Lisbeth Salander est une femme à la fois étrange et séduisante, dont l'apparente opacité et l'entêtement, et la solitude finalement, rappellent Mark Zuckerberg.
Ils partagent d'ailleurs une fin quasi-identique, se retrouvant tous deux dans le désespoir d'aimer sans l'être en retour.
L'autre point commun qui les unit est cette connaissance hors-normes du monde informatique, dont ils comprennent tous les deux que le langage et l'univers virtuels seront les armes qui les méneront au pouvoir. En ce sens, Salander est le complément idéal de Blomkvist, dont l'approche du monde est beaucoup plus basée sur des méthodes à l'ancienne. Elle se caractérise aussi par sa bisexualité qui ne doit pas être le fruit du hasard : en couchant aussi bien avec des hommes que des femmes, même s'il s'agit d'une approche sexuelle naturelle et non pas d'une attitude calculatrice de sa part, Lisbeth montre qu'elle est capable de s'adapter à tout.
Politique et social, le film ausculte d'une manière frontale notre monde et ses dérives. D'une extrême noirceur et ne pliant jamais sous le poids des conventions hollywoodiennes ( qui peut se permettre, au sein d'une telle industrie, de filmer du sexe aussi crûment ? ), le dernier Fincher parle du pouvoir et de ce qui le court-circuite, de la corruption et du harcèlement contre lesquels le film s'établit en appelant implicitement à la révolte à travers Lisbeth Salander. Et si le titre original du film fait honneur au fond de l'oeuvre, celui du roman aurait très bien pu convenir tant il suffit à décrire le propos développé. Millenium est un film sur la misogynie et sur la manière dont le sexe ( masculin ) dirige le monde. Comme Blomkvist allant réveiller les fantômes du passé, David Fincher retrouve chez Salander la hargne d'Ellen Ripley, le premier personnage qu'il ait jamais filmé. Et c'est un autre miracle que de voir chez un cinéaste aussi masculin le dévoilement d'une figure féminine d'une beauté et d'une puissance aussi fortes. Soit la révélation du féminisme, d'un soupçon de grâce - aussi court soit-il - dans un monde angoissé et sombre.