Les échecs apparaissent comme ce sport obscur pour tant de spectateurs profanes qui y voient, souvent, un combat entre génies de la logique et cerveaux titanesques, appartenant à un autre monde, totalement intangible, peut-être trop mystique pour en saisir le sens et la valeur. Alors, il semble parfaitement impensable, selon cette idée, de créer le moindre divertissement ou d'amener une quelconque émotion si le sens d'une discipline nous échappe. Et pourtant, Le Prodige tient son spectateur en haleine du début à la fin, l'emmène dans un monde qu'il ne connaît pas et parfois, même, le bouleverse. Cela tient à trois points indéniables : une histoire haletante, inspirée de faits réels, un casting, absolument sensationnel et une réalisation simple mais diablement efficace !
On prend, donc, plaisir à s'émerveiller des prouesses de Bobby Fisher, un génie en souffrance, qui s'enfonce, peu à peu, dans l'aliénation de son talent. Dans un contexte de guerre froide, le jeune prodige sera confronté au champion en titre, Borris Spassky et livrera un combat acharné contre la Russie, le monde menaçant, ainsi que sa peur de tous les « échecs ». Prenant tous les mauvais jeux de mots possibles, le spectateur pourra s'attendre à voir un film qui parle de succès et d'échec mais également de beaucoup de rois, de reines et, tout particulièrement, de fous ! Car le génie, pour être entier, doit toujours subir son déséquilibre mental permanent, perception du monde qui le rend unique.
Ce qui fait du Prodige, une très bonne surprise pour le spectateur, c'est d'abord une histoire incroyable, universelle et très bien construite. Pour cela, nous pouvons compter sur le savoir-faire d'un Steven Knight, scénariste des Promesses de L'ombre (David Cronenbreg), pour nous conter une sélection précise de faits réels en plaçant son protagoniste au centre de l'intrigue. Ce procédé dramaturgique, à priori banal, est, dans le cas de l'oeuvre, porté par une mise en scène qui se veut, certes très classique, mais bien plus intelligente que le travail d'un réalisateur « de commande» et contraint par la production. Les gros plans sont, évidemment, plus que de rigueur mais toujours utilisés de la bonne manière et dans des angles déroutants, afin de signifier un malaise perpétuel du personnage. De la même manière, un soin est apporté à la spatialisation, plaçant le protagoniste dans une pesante solitude.
Mais alors, que dire de ce personnage principal, Bobby Fisher, campé par le premier de nos Spider-Man en « live action », Tobey Maguire ? Ici, la mise à l'honneur d'un acteur époustouflant est obligatoire. Dans un jeu entre le génie et la folie, la retenue et l'hystérie, la beauté et la laideur, Maguire fait preuve d'un talent incontestable, sans jamais avoir peur de déformer son visage ou d'être ridicule, rendant son interprétation plus vraie encore que la vie même. A cet instant, il est impossible, pour le spectateur, de ne pas ressentir la douleur et la détresse de ce personnage dont il n'arrive plus à condamner les détestables agissements. Face à lui, Liev Schreiber, dans le rôle du stoïque champion russe assure merveilleusement la case blanche de l'échiquier, dans une psychose tranquille, mais bien présente.
Finalement, dans une œuvre qui s'adresse à tout public voulant assister à un jeu d'acteurs prodigieux, les parties d'échec ne sont qu'un petit plus pour les aficionados qui comprendront sûrement les coups de maître, à marquer d'une pierre blanche dans l'histoire de cet extraordinaire sport. Et pour les malheureux ignorants qui ne savent rien de ce monde, ce film leur donnera l'incontestable envie d'en savoir plus sur le sujet et les plongera dans les délires psychotiques des cerveaux surdoués.