Il faut un peu de temps pour se mettre dans le film, d'abord parce que le récit est forcément très ancré dans l'histoire états-unienne, donc truffé de références qui peuvent échapper au spectateur non américain, ensuite parce que le montage mêle d'emblée différentes histoires et temporalités. Mais passé le temps d'adaptation, on apprécie l'habileté du scénario qui propose le portrait nuancé d'un homme complexe, aux multiples facettes. Certains diront qu'il est incomplet, omettant notamment de préciser les liens entre Hoover et la mafia. Mais globalement, le film est assez riche pour évoquer le caractère ambitieux, manipulateur, autoritaire et radical de l'homme, son obsession de la sécurité et de la "moralité" de son pays, ses petits ou grands arrangements avec la légalité et la vérité, ses partis pris critiquables, son désir immense de reconnaissance... Mais aussi, derrière la carapace sociale, les failles d'un homme confronté à une mère castratrice et à des désirs homosexuels refoulés. C'est le traitement de ce versant intime qui est le plus étonnant dans le film, de la part d'un cinéaste que l'on dit volontiers réac. Eastwood aborde l'histoire d'amour entre Hoover et Tolson avec la sensibilité et la délicatesse qui irriguaient Sur la route de Madison.
Au final, ce film apparaît réussi, évitant les pièges de l'hagiographie comme du portrait à charge, avec un je ne sais quoi de subtil et de malin dans la façon de jongler entre passé et présent, de faire se répondre des scènes en écho, pour mieux opposer discours officiel et vérité historique. Ce juste dosage, on le retrouve aussi dans le mariage des genres, biopic, chronique historique, mélodrame, sous un dénominateur commun : le secret. Hoover fut l'homme des dossiers secrets et des amours secrètes. C'est en explorant les secrets intimes, en mettant l'accent sur "J. Edgar" plus que sur "Hoover", que le cinéaste parvient a rendre plaisant voire touchant le portrait d'un homme à maints égards détestable. Il y parvient aussi grâce à Leonardo DiCaprio, très convaincant.
Pour le reste, on notera quelques longueurs, des maquillages pas toujours heureux pour exprimer la vieillesse des personnages et une réalisation académique (aux images sombres), mais néanmoins très maîtrisée. Quant au montage, il paraît plus rapide qu'à l'accoutumée dans les films d'Eastwood, probablement pour suivre le rythme de celui qu'on surnommait "Speed" dans sa jeunesse.