Assez pauvre film de Clint Eastwood, qui n'en finit décidément plus d'une certaine médiocrité au niveau de l'écriture, des idées, du scénario. J. Edgar n'exalte jamais, parce que J. Edgar ne sait pas ce qu'il est - par un ironique retournement des choses, il souffre d'un problème identitaire : s'affichant comme un biopic à doublon réaliste-intimiste, le dernier Eastwood flirte aussi bien avec une ligne historique - naissance du FBI, histoire des institutions - qu'avec une ligne sentimentalo-dramatique qui ne parvient jamais véritablement à décoller ; enfin,pour couronner le tout, le film se décline dans une tonalité critique, plus discrète mais pas moins importante, où le thème du pouvoir, de la loi, de la transparence des identités et du progrès de la surveillance continue sont davantage esquissés, ou montrés, que problématisés. Ce n'est pas tellement qu'un film pour être réussi doive se tenir à l'exigence restrictive et sacrée d'une unique perspective qu'il devrait fouiller, épuiser, totaliser ; seulement ici, J. Edgard souffre de trop de béquilles pour ne pas perdre l'équilibre. Ne sachant plus sur quel appui se soutenir, le film exhibe une décevante fragmentation, que la fade personnalité de J. Edgar Hoover ne parvient jamais à rattraper ; le spectateur, jamais harponné, s'ennuie devant cette difficile dispersion.
J.Edgar est trop mou, trop superficiel, trop vide pour être un bon film. Si bien qu'on peut légitimement s'interroger sur la pertinence d'une telle intrigue : à quoi diable sert-il de s'intéresser de près à un tel homme de "pouvoir", si ce n'est l'infâme (intellectuellement) projet de révéler des faiblesses sous une invincible carapace ? Pourquoi montrer, sauf l'apologie masquée ou la critique sous-jacente, au demeurant toutes deux absentes, que sous le masque redoutable se cache un visage "humain" affrontant ses démons, que sous l'assurance et les réussites d'un homme figurent les fissures, les passions inavouables, les liaisons ratées, les échecs et les erreurs ? La seule chance d'intéresser à ce compte le spectateur, sans retomber dans l'archétype niais et/ou humaniste, est de découvrir un trésor, une personnalité extra-ordinaire, un monstre ou un ange, un dieu ou une bête. Eastwood n'offre rien de tout cela : sous le bras vigoureux de Big Brother ne gît qu'un gay refoulé proche de sa maman, qu'un ami de la jaquette certes envahi par quelques gênes relationnelles, mais jamais un grand homme - machiavélique ou honorable, qu'importe : au moins eût-il pu se montrer intéressant. Insignifiant, ennuyeux, plat, J. Edgard Hoover ne peut pas à lui seul porter un film. Ou alors, à condition de donner à la fiction un rôle générateur conséquent, de laisser ouverte la porte aux excès, aux folies, aux fantasmes. Mais Eastwood échoue encore à ce stade et peint une pâle, pâle folie : suggérée, inachevée, laissant seulement quelques traces de mythomanie et de propension à la reconstitution falsificatrice de l'histoire...
Pourtant quelques ingrédients pour un grand film auraient pu être utilisés, réfléchis, problématisés (ce qui ajoute à cette détestable impression de gâchis) : l'identification de soi à un rôle dévorant le soi, à une institution que rien ne doit égratigner, le rapport au temps, à la durée et à la permanence que seul le transfert de soi dans un "autre plus grand" permet, le parallèle entre l'identité fissurée de Hoover et la collection des identités des citoyens, la réduction du privé au public exigée par le principe souverain de sécurité, la difficulté d'une relation inter-individuelle dans un cadre où la norme identitaire prévaut, le problème de la folie au pouvoir... Au lieu de cela, Eastwood propose une intrigue molle, quasi documentaire, enrobée par une réalisation hyper-académique. Un travail sur l'apparence physique des acteurs évoluant sur une cinquantaine d'années est tantôt réussi (pour DiCaprio), tantôt lamentable (pour Hammer). Des rôles finalement inutiles ou insuffisamment travaillés (pauvre, pauvre Naomi Watts) jalonnent le film. Finalement Leo sauve l'affaire du vieux Clint, fatigué, sans plus aucune ambition ni idée. Moche. 8/20.
Et bien sûr, toutes les critiques sur le Tching's Ciné : http://tchingscine.over-blog.com/