J. Edgar s'impose dans la carrière de Clint Eatswood comme le parfait contre-pieds à ses deux films précédents; l'anti-Invictus en somme. Là où dans le Biopic de Nelson Mandela, Eastwood affichait avec clarté ses positions, mettait en valeur la sagesse de son personnage et traitait l'ensemble avec une patte moralisatrice très pesante, dans J. Edgar, il ne tombe pas dans la facilité du film politique partisan auquel ont pouvait s'attendre et étudie son protagoniste Edgar Hoover avec distance et méticulosité. En fait, le pourquoi prend le pas sur le comment. Le portrait importe plus que le pamphlet.
Ainsi, les différentes facettes d'Edgar, ses vices, ses complexes, sont présentés au fil du récit, apparaissent plus clair au fur et à mesure de la croissance de sa création (L'institution FBI). On décèle même une touche de sympathie émanant du cinéaste pour cet homme prisonnier de sa cage émotionnelle, dont l'expectative violente de la mère n'y est certainement pas étrangère.
Car en effet, derrière cet homme fort en apparence, ce véritable pionnier de la police criminelle jouissant d'une puissance inimaginable, se cache un bègue un peu lâche, abominé par son homosexualité, dont l'arrogance cache en vérité de terribles frustrations. Face à la honte qu'il éprouve, Edgar n'a de choix que d'ériger cette façade rigide destinée à éviter toute humiliation malvenue et surtout à assouvir sa soif d'auto-valorisation. En cela, le film lui rend honneur ne manquant pas de rappeler la perception de l'homosexualité à une époque pas si lointaine, qui rendait impossible une telle ascension sociale.
D'un autre côté, le film parle également d'un rendez-vous manqué. A l'instar de la secrétaire Helen Gandy (Naomi Watts), dont le refus de la vie conjugale pour consacrer sa vie à l'Institution pourrait lui aussi receler un tiroir à secrets, autant le parcours de Hoover que celui de Tolson offrent un sentiment d'inaccompli. Dès leur première rencontre, on sent une fascination mutuelle, qui prendra une dimension supérieure lors de leur premier repas commun au restaurant, où Eastwood filme leur discussion comme il filmerait deux amoureux se déclarant leur flamme, à coup de champ-contrechamp zoomé. Si Tolson communique l'espoir de voir son rêve se réaliser à travers divers gestes explicites, la prison de verre d'Edgar empêchera toujours les deux hommes de donner suite à ces sentiments refoulés, l'image de "l'enfant" de Hoover comptant plus que son épanouissement personnel.
Seuls les rituels quotidiens nourrissent leur rapport, donnant lieu à des repas qui se suivent dans leur monotonie.
Le film a donc cela d'hautement tragique et puise dans cet inassouvissement presque pitoyable toute sa puissance dramaturgique.
Dans un deuxième temps, une autre caractéristique contribue à rendre pathétique cet homme pourtant brillant. Elle réside dans son évolution professionnelle et idéologique. En effet, le Edgar "jeune" fait figure de pionnier dans son domaine. En dehors de leur aspect déontologique potentiellement douteux (Etat hyper sécuritaire, entrave à la vie privée), ses idées dépassent les conventions et comme tout visionnaire il demeure incompris. En outre, sa lutte face au terrorisme et à la mafia fait figure de juste motif pour justifier de telles mesures, à tel point qu'il est devient starisé par la population, à l'image de ses apparitions dans des comics ou de l'éloge policière des films au cinéma. Il atteint presque le mythe.
En revanche, le Edgar "vieux" semble dépasser par les événements, comme s'il était resté bloqué à l'affaire Lindbergh, comme si la Prohibition était encore d'actualité. Il parait soudainement vétuste dans ses indignations politiques, notamment lorsqu'il accuse Martin Luther King d'être le pire ennemi de l'Amérique, le nouveau communisme à éradiquer.
Edgar est d'autant plus piteux que
sa mort n'a rien de digne. Il gît nu sur la carpette au pied de son lit, pâle et bedonnant tel un vieillard décrépi. On apprend également que les exploits dont il a été l'auteur à l'écran, sont en grande partie inventés dans le but de dorer une image jamais assez belle pour lui.
Par conséquent, le scénario de J. Edgar écrit par Dustin Lance Black, déjà scénariste de Harvey Milk, est certainement le gros point fort du film et pousse Eatswood à la sobriété pour cette histoire extrêmement éloquente.
Je pose malgré tout quelques réserves quant à l'esthétique travaillée par Clint avec Tom Stern, son chef-opérateur, dont le fameux "noir informe" laisse froid. De même concernant les compositions écrites également par Eastwood, d'une banalité affligeante. Les petites notes de panio disséminées par-ci par-là, j'en ai ma claque. Par ailleurs, l'absence de Di Caprio parmi les nominés aux oscars pour le meilleur rôle principal est regrettable.