Passons sur la petite ironie comique qui veut qu'un cinéaste nommé Stone s'attaque à un film sur la drogue. Passons sur le triangle amoureux aux enjeux très simplistes, manquant cruellement de profondeur et se contentant de son schéma linéaire. Passons sur le parti pris d'un film qui hésite un peu trop sur ce qu'il a à dire, et sur la façon dont il veut le dire. Savages n'est certes pas le meilleur film d'Oliver Stone, mais il constitue une oeuvre solide malgré les défauts évoqués plus haut. Solide, parce que Stone, en vieux roublard qu'il est, sait faire le boulot par le prisme d'une mise en scène tonique, subtilement inventive et très efficace. Et les vieux roublards sont d'ailleurs les personnages les plus intéressants du film. Exit, donc, les jeunes amants, et place à trois acteurs qui sortent le grand jeu ( ce qui, quand on est acteur, peut être décisif ) : Salma Hayek assure en chef de gang, John Travolta cabotine à fond, confirmant ainsi qu'il est l'un des meilleurs acteurs dans cet art si délicat ( pour s'en assurer définitivement, il faudrait revoir Volte/Face, film surfait, surjoué, surélevé, terrain de jeu idéal pour Woo, Cage et Travolta ) et Benicio Del Toro oublie volontairement toute notion de finesse pour camper un personnage outrancier, dont la propension à en faire des tonnes va parfaitement à un film qui de son plein gré s'aventure dans le grotesque sans pour autant être ridicule. Savages est plus un film de formes que de fond, et il ne tire sa jouissance que de ses proéminences, de ses parties visibles, trop ostentatoires, mais non moins parfaitement maîtrisées. Si le scénario a parfois l'arrière-train entre deux chaises, au point de se contredire lui-même quand il s'agit d'opérer un choix de récit ( voir la fin bâtarde et intrigante ), c'est peut-être parce que le film a un goût trop prononcé pour le visuel pur et l'efficacité. Quand il s'agit de dire quelque chose de son sujet ( mais quel est-il au fait ? Le trafic de drogue ? L'amour à plusieurs ? ), Savages ne se manifeste que par bribes peu surprenantes, à l'image du cheminement pris par chacun des deux trafiquants, l'un, baba cool alter-mondialiste devant à un moment se confronter à la réalité et à sa violence, l'autre, ancien soldat, proférant quelques phrases spirituelles que n'aurait pas renié Bouddha ( " On doit accepter de mourir dès que l'on naît " ). Mais à part ces passages convenus, le film n'offre rien de profond dans le développement de ses thématiques. Le plus important donc, c'est la stylisation du film, sa volonté d'offrir du cinéma au détriment d'un certain réalisme ( allant parfois jusqu'à un grotesque frôlant le ridicule ). Et c'est un choix qui va parfaitement à Oliver Stone, qui est toujours aussi bon quand il s'agit de mettre en avant l'image et d'exprimer une certaine idée de la furie du monde.