Ce qui frappe en premier lieu dans "Gravity", c'est son incroyable beauté plastique, la qualité de sa photographie et de sa mise en scène. Sans parler des effets spéciaux. Le mexicain Alfonso Cuaron s'était déjà fait remarqué, et de quelle manière, avec le génial "Les fils de l'Homme", sorte de thriller dramatique se déroulant dans un futur apocalyptique. Alors qu'il était pourtant là dans un vrai film d'anticipation, ce que n'est donc pas "Gravity", le cinéaste n'avait absolument pas recours aux effets spéciaux et livrait un long-métrage épuré à ce niveau-là, jouant davantage sur l'ambiance, les décors, et déjà sur une mise en scène folle (les amateurs de plans-séquences dantesques peuvent s'y ruer les yeux fermés). Sept ans après ce film réussi en tout point, Cuaron, qui n'a rien réalisé au cinéma depuis - se concentrant notamment sur la production (entre autres, "Le labyrinthe de Pan" de Guillermo del Toro), la création d'une série TV inédite chez nous ("Believe"), et la longue mise en place du présent film dont il est également le co-scénariste – revient donc aux affaires, mais ne lésine cette fois pas sur les effets visuels. Et c'est le moins que l'on puisse dire. D'ailleurs, le travail sur ceux-là a été récompensé d'un Oscar, plutôt mérité d'ailleurs. On est surtout là dans un film époustouflant visuellement, à l'imagerie extrêmement soignée. Cuaron, qui avait donc fait preuve d'une grande dextérité dans ses mouvements de caméra par la passé, récidive ici. Celle-ci semble, à l'instar des astronautes, littéralement flotter dans l'espace. Elle est un vrai personnage, un œil qui observerait de près tout ce qui se passe, tant ses mouvements sont d'une grande fluidité. Une fois encore, le réalisateur mexicain nous offre quelques plans-séquences admirables, notamment celui d'ouverture, vertigineux à vous en donner le tournis. Il n'y a pas dire : Cuaron sait se servir d'une caméra et a bien compris l'utilisation de l'espace et de la profondeur dans ses films. Tellement bien qu'il se permet de sans cesse jouer avec.
Il y a donc une image de grande qualité, une mise en scène travaillée, et des effets spéciaux à rendre jaloux James Cameron et Steven Spielberg réunis. OK . Après, c'est sur qu'avec un budget faramineux de 100 millions de dollars, plusieurs années de préparation, et les meilleurs techniciens aux manettes, c'est évidemment plus facile (saluons aussi l'abattage du directeur de la photographie Emmanuel Lubezki, collaborateur de Cuaron depuis de nombreuses années, qui a également déjà bossé avec les frères Coen, Alejandro Gonzalez Inarritu, Tim Burton et Terrence Malick). Surtout que lorsqu'on sait que tout le film a été réalisé en images de synthèses, telle une production Pixar ou un jeu vidéo, et que tout ce qui est réel (comme le visage des acteurs par exemple) a été incrusté par la suite, ça enlève de suite beaucoup de charme. Et finalement on se dit que c'est moins impressionnant comme travail de metteur en scène, puisqu'au fond Cuaron n'a presque jamais filmé le "réel" devant son objectif, et tout a été produit par des geeks de génie derrière des ordinateurs et des logiciels à la pointe de la technologie. Oui là, la dextérité que l'on évoqué tout à l'heure en prend un petit coup. Même si on ne lui enlève pas son mérite. Car au fond, "Gravity" n'est rien de plus qu'une œuvre révolutionnaire sur le plan de l'image, du numérique, de la 3D, de l'utilisation d'une technologie de pointe. C'est très réducteur ce que je dis là, je vous l'accorde, mais, au risque de passer pour un obscurantiste, ça ne me touche pas. Car qu'il y a t-il derrière ? Réponse : pas grande-chose. Si l'on a oublié de saluer le travail sur le son, également très pointu, le scénario, lui, tient sur un post-it. La psychologie des personnages passe ici complètement au second plan tant ceux-ci sont stéréotypés, entre Sandra Bullock dans le rôle de la débutante traumatisée qui va devoir vaincre ses propres peurs pour survivre lors de cette première sortie dans l'espace, et George Clooney dans la peau du mentor charismatique en mode "A deux jours de la retraite" puisqu'il effectue lui sa toute dernière mission. Mais ce qui choque le plus, c'est la pauvreté des dialogues. Entre les punchlines héroïques comme sorties d'un film avec Bruce Willis, ou encore les tirades sentimentales et larmoyantes déblatérées pour coller, au choix, aux instants de grande bravoure ou d'émotions, on ne peut s'empêcher de penser que la seule chose qui intéressait l'équipe du film, c'était bien l'image et les effets visuels. Le reste a complètement été laissé à la dérive dans les tréfonds du vide intersidéral.
Les rebondissements mis en place pour créer du suspense et de la tension ne fonctionnent qu'un coup sur deux et sont souvent très téléphonés. Sandra Bullock, qui semble pourtant donner le meilleure d'elle-même, ne parvient à nous atteindre que trop peu souvent ; et George "Nespresso" Clooney fait du George "Nespresso" Clooney dans le texte. Il est donc séduisant et drôle avec un sourire carnassier et une attitude proche de la désinvolture tout en restant classe. Du cabotinage en règle. Les meilleurs moments du film restant ceux où, au milieu des dialogues surchargés et insipides, au milieu du vacarme des explosions au coefficient de spectacularité élevée et des cris de panique abrutissants de Bullock, Cuaron joue avec l'infini silence de l'espace. Ce vide surréaliste, à la fois effrayant et cotonneux, et cette solitude abyssale à rendre fou. Dommage qu'ils soient sous-exploités. Des choses qu'avait bien compris, il y a maintenant près de 50 ans, un certain Stanley Kubrick avec son gigantesque "2001", a qui il est d'ailleurs adressé quelques clins d’œil ici. Forcément.
Surcôté, à l'image d'un "Avatar", en raisons de ses prouesses visuelles et de ses effets spéciaux dernier cri, "Gravity" est avant-tout une expérience sensorielle digne des meilleures attractions des plus grands parcs du Monde. Il force le respect par sa mise en scène et son visuel calibré, mais déçoit par son scénario pauvre et l'avancé très linéaire de son intrigue sans la moindre surprise. Cela relance un débat philosophique crucial sur le septième art : est-ce vraiment du cinéma lorsque ce n'est pas le réel qui est filmé ? Peut-on parler vraiment de film lorsque pas grande chose de ce que l'on voit à l'écran s'est trouvé devant l'objectif lors du tournage ? Cuaron nous a promis la lune et les étoiles, mais ne parvient finalement pas à nous faire décoller jusqu'au septième ciel. Si certains, en quête d'un divertissement décoiffant, apprécieront énormément le voyage et cette expérience tout de même assez rare ; d'autres, à la recherche d'un peu plus que de belles images de synthèses, ne se laisseront pas surprendre aussi facilement et, telle la pomme chère à Newton, finiront par vite retomber sur le sol.
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