Avec Anonymous Roland Emmerich s'est attaqué à un thème ô combien difficile : Une fiction-réalité essayant d'expliquer le mystère qui entoure les œuvres de William Shakespeare. On adhère ou pas au désir de créer une réalité, filmique soit-elle, sur un personnage aussi important de l'histoire littéraire. Il y a dans un premier temps l'introduction d'une représentation théâtrale de nos jours, qui explique à un public le spectacle qui va suivre. Bien entendu cette explication s'applique aussi et surtout aux spectateurs du film. J'étais d'ailleurs quelque peu gêné de cette intro, j'aurais préféré que le film s'assume jusqu'au bout et il n'y avait selon moi pas une grande nécessité à cette " préparation " mentale.
Quoiqu'il en soit l'histoire commencée nous oublions rapidement ce petit détail pour plonger dans l'univers anglais de l'époque. Le film se divise en de nombreuses séquences, plus ou moins reliées entre elles, et propose une multitude de situations. Le montage sera vif, les retours en arrière/présent alternés pas toujours disctintement. La première partie pourra donc paraître difficile à suivre. Il est clair qu'avec la présentation rapide et assez maladroite des personnages on puisse perdre le fil narratif et donc un certain intérêt. Malgré tout, une fois tous les éléments mis en place, l'intrigue qui se compose sous nos yeux devient sans cesse plus intéressante.
L'histoire en elle-même a un côté très poétique, on est au cœur d'un thriller aux facettes multiples, qui fait converger divers intérêts et donc divers personnages. Chacun de ses personnages garde une personnalité très travaillée, et nous n'avons finalement pas besoin de nous attarder en long et en large sur chaque individu pour comprendre leurs ressentis et leurs motivations.
Il est très intéressant d'analyser la place accordé au " spectacle " dans le film. Le rapport à effectuer entre les représentations en elles-mêmes, de ce qu'elle découle ou de ce qu'elle engendre, est particulièrement attrayant. Il y a bien évidemment une dimension politique : C'est là-dessus que le film base sa " théorie ". Le théâtre étant présenté comme un outil de manipulation des masses, les mots devenant des armes au service de ceux qui savent les manier. Outre les histoires politico-familiales qui règnent au sein de bon nombres de personnages la politique s'intègre à plus grande échelle dans un rapport entre classes sociales.
Agrémenté d'une dimension intimiste touchante, nous allons pouvoir constater des duos de personnages, liés les uns aux autres indirectement et dont les désirs ne pourront jamais véritablement être comblés. Que ce soit l'auteur, qui finalement aura fait tout cela pour " rien " et qui n'aura aucune reconnaissance, si ce n'est celle de son seul fervent admirateur. Ce dernier aura lui cette frustration grandissante tout au long du film, qui le poussera à agir contre ses propres principes et qui révélera à la fois sa faiblesse et la force encore une fois des mots : C'est une confession, un message, qui déclenche et qui scelle le sort de tous ces personnages.
D'autres personnages sont importants et pourraient jouir d'études psychologiques intéressantes mais il serait trop long de s'attarder sur chacun d'entre eux. La reine m'a particulièrement touché, que ce soit dans le présent avec son désir de renouer avec son passé oublié, celui où elle était belle, amoureuse, souriante. Ou dans ce passé, avec sa romance tumultueuse, défendue, et joliment mise en scène, qui aura un côté très tragique compte tenu de la fin du film, dont je ne révélerai rien.
L'ambiance mise en place est en accord avec la noirceur de la plupart des personnages, avec la pénombre qui dissimule les secrets. La lumière du jour sera toujours terne, le soleil absent, tout comme les couleurs vives. On garde par ailleurs cet aspect très intimiste, ou du moins proche des personnages, puisque peu de plans d'ensemble nous sont proposés. Le rapport à l'environnement est vraiment centré sur les protagonistes et ce sont eux qui dirigent notre regard.
Je n'ai pas spécialement été marqué par la musique ou l'esthétique même du film, mais globalement une certaine uniformité se dégage. Certains diront que le film est pataud et nage autour de plusieurs thèmes sans plonger au cœur des facteurs principaux. Pour ma part j'ai considéré le tout à la fois instructif concernant les manigances qui tiennent les reines du pouvoir, les secrets qui les composent et les conséquences de l'objet " Art ".
J'ai aussi beaucoup apprécié le fait que le personnage de Shakespeare soit en retrait, et la relation à faire entre son importance publique et son importance " réelle " est tout à fait intrigante.
La réalisation n'est pas toujours inspirée mais la motivation se fait ressentir, il en est de même pour la direction des acteurs, et en fin de compte, s'il n'est pas vraiment phare ou incontournable, Anonymous se dévoile sous des formes plaisantes et propose une évolution scénaristique passionnante.