Etonnant. Voilà le premier mot qui nous vient à la bouche quand on connait la fiche technique d’Anonymous. Plus particulièrement le nom de son réalisateur, à savoir Roland Emmerich, papa de Stargate, Independence Day, Godzilla, Le jour d’après, le raté 10 000 et 2012. Bref, le cinéaste allemand le plus hollywoodien qui puisse exister ! Etonnant donc de voir ce personnage s’attaquer au cinéma de genre (bien qu’il se soit déjà occuper de The Patriot). Que nous vaut donc ce radical changement ?
Anonymous met sur le devant de la scène l’une des énigmes artistiques les plus fascinantes : et si Williams Shakespeare n’était pas l’auteur de ses propres pièces ? Et si le géniteur de ces œuvres n’était en réalité qu’un noble, Edward de Vere, comte d’Oxford, qui demanda à un metteur en scène de réaliser ses pièces anonymement, qu’un comédien va s’approprier la gloire, tout cela durant une époque agitée d’intrigues politiques, de scandales et de conspirations visant la Cour royale ? Une thèse que bon nombre de personnalités partagent (dont Derek Jacobi, sa présence en tant que narrateur étant alors explicite), que le réalisateur et son équipe désire partager par le biais de ce film. Un scénario pour le moins classique, qui ne fait que raconter cette hypothèse dans le moindre détail, tout en y introduisant des trames romantiques et d’humanité, flirtant un coup avec l’inceste, de l’autre avec la trahison et les complots… Digne d’une pièce de Shakespeare ! Une trame suffisamment intéressante à suivre, brossant le portrait de quelques personnages devenant sur le coup charismatique (notamment Edward de Vere). Malheureusement ralentie par des flashes-back malvenus, surgissant tels des clowns en boîte de manière énervante et maladroite. Tant que ne ressente aucunement les lenteurs de ce récit de 2h10, ce défaut peut passer ! Mais ce qui importe, c’est qu’Anonymous est la preuve qu’Emmerich peut nous livrer un film avec un scénario !
Anonymous peut également surprendre dans la filmographie d’Emmerich sur le plan de la distribution. En effet, les films du réalisateur allemand sont réputés pour n’être que des blockbusters à 300% hollywoodiens, proposant un casting le plus souvent ridicule (Godzilla malgré Jean Reno, Le jour d’après, 10 000, 2012). Ici, la donne est totalement différente, bien que peu mémorable. Et pour cause, peu d’acteurs du film n’arrive à se démarquer des autres. Chacun joue le strict minimum, étant ni bons ni mauvais. Constat un peu rude quand on sait que David Thewlis fait parti de ces acteurs… Seuls deux comédiens arrivent toutefois à sortir du lot. A commencer par Vanessa Redgrave qui semble par moment s’éclater dans le rôle de la reine Elizabeth. Et puis, il y a Rhys Ifans, très loin de ses rôles de comiques (Coup de foudre à Notting Hill), de méchant (Hannibal Lecter : les origines du mal) ou de mec déjanté (Good Morning England). Le comédien confirme un certain talent, une certaine prestance dans sa manière de jouer le comte d’Oxford avec beaucoup de retenue. Bref, bien que le casting ne soit pas exceptionnel, Anonymous est la preuve qu’Emmerich peut diriger de véritables acteurs pour l’un de ses films !
Anonymous sort tout simplement du lot dans le cinéma de Roland Emmerich par le fait qu’il y a une mise en scène stylisée. Un véritable travail effectué sur la photographie du film, donne à l’ensemble une certaine ambiance. Des couleurs aussi « jaunis » que la flamme d’une bougie ou bien aussi « lumineuses » que de la neige éclairée par le soleil, Anonymous s’offre un filtre visuel agréable à regarder, rapprochant tout de même le film au style visuel d’un clip de Mylène Farmer (dont notamment « Libertine »). Une atmosphère soignée enjolivée par la musique de Thomas Wanker et Harald Kloser qui arrivent (enfin) à composer des morceaux qui n’ont rien à voir avec les standards hollywoodiens, qui n’arrivent donc jamais à dépasser les limites de l’excessif. Néanmoins, avec un faible budget (30 millions d’euros contre 200 millions de dollars pour 2012), il ne fallait pas s’attendre à des merveilles au niveau des effets spéciaux, du numérique bas de gamme qui gâche indiscutablement des décors et costumes réussis. Mais cela prouve une chose : avec Anonymous, Emmerich montre qu’il est un metteur en scène, qui peut réaliser de véritable film, très loin des clichés budgétaires, scénaristiques et techniques des produits hollywoodiens.
En bref, Anonymous est la preuve que Roland Emmerich peut faire du cinéma ! Même s’il n’est pas exempt de défauts, le film du réalisateur allemand mérite le coup d’œil (rien que pour la thèse qui y est décrite). Il est donc injuste qu’Anonymous soit passé inaperçu dans nos salles, pour une fois qu’Emmerich méritait véritablement toute notre attention avec une œuvre bien plus intéressante qu’une famille séparée fuyant des catastrophes hors normes aux alentours du 21 décembre 2012.