Neds fait partie de ce genre de films que j'appelle les « Burning out movies ». Ceux où les personnages s'apprêtent à amorcer une descente aux enfers, durant laquelle leur corps et leur esprit deviennent des martyrs, brûlant de rage et de douleur. Récemment nous en avons eu deux exemples avec Chronicle et Bellflower. Ici le style est différent puisque c'est une approche centrée sur le réalisme qu'adopte Peter Mullan. John McGuill, personnage au cœur de la peinture sociale que dresse le réalisateur, est celui qui va connaître sous nos yeux la déchéance, pallier après pallier, drame après drame...
Fils modèle jusqu'à l'adolescence, premier de la classe et bien loin des fréquentations délinquantes de son quartier ou de son frère aîné, il va connaître ce moment charnière, ce déclic qui va le conduire à sa chute. Chute que l'on pourrait juger, à chaud, évitable, mais qui, à froid, n'est que la conséquence logique d'une vie qui l'incite à perdre pied depuis son tout jeune âge. Un père alcoolique, un frère paumé, une mère passive, et lui, l'espoir de la famille (si on peut appeler ça une famille), le rayon de soleil d'une ville cernée par le mauvais temps, la violence, et la décadence.
Mais après des années de travail acharné il comprend que le monde lui ferme ses portes. Ce monde là c'est celui de la réussite, de l'avenir, du redressement, bref, c'est le paradis. Et ce paradis ne l'accepte pas, pire, il le rejette ; John n'a alors plus qu'un seul chemin à emprunter, celui qui le mène vers l'enfer. C'est un nouveau monde qui lui ouvre ses portes. Un monde où il trouve enfin une place, une vie, une identité. Les lois, les restrictions, tout cela s'en va à mesure qu'il découvre les plaisirs de sa nouvelle vie. Les limites disparaissent, et l'élève devient alors un maître, le faible devient un fort. La déshumanisation est progressive, comme si un chien bien élevé rejoignait une meute enragée, où seuls comptent les aboiements, les crocs et les coups.
John McGuill se transforme lui-même en animal, finissant à moitié nu, maculé de sang, prêt à mordre quiconque se trouve sur sa route. La jeunesse en perdition totale coure les rues, à toute heure, défiant l'autorité, la loi, la raison. Comme si toute une génération se trouvait la tête sous l'eau, incapable de remonter à la surface. La logique, la temporalité, l'espoir, tous ces sentiments fuient le cadre et il ne reste qu'une vague impression de liberté où tout est permis. Les hommes deviennent des fauves, marchant au milieu des lions avec plus de sérénité que dans leurs rues. Ils n'ont plus conscience de rien, plus de repères, et si la vie ne leur importe plus, la mort non plus, et en ce sens ils ne sont ni vivants ni morts, mais de simples légumes.
Peter Mullan fait de son personnage un symbole, comme un cœur explosé en mille morceaux qui ne battrait presque plus. Il le mutile, le malmène et lui fait perdre toute sa pureté au fil des minutes. Ce sont les quartiers qui déteignent sur lui, il devient sale, stupide et fou. Les images et la musique accompagnent cette plaie qui se creuse en lui avec toujours plus d'intensité, rendant au film un impact qui ne faiblit à aucun moment. Le tableau est sombre et pessimiste, et le génie qui écrit dessus avec sa craie noire de dépit en fait une œuvre poignante qui marque les esprits.