« Midnight in Paris » est un film au potentiel monumental totalement inexploité à cause de choix scénaristiques incompréhensibles que je tâcherai de développer par la suite. Suite à mon visionnage, je ne comprenais pas du tout l’engouement autour de ce film (4,2/5 par la presse !). Le problème étant selon moi que seul l’aspect « carte postale » apporté à la ville de Paris est pris en compte, servi par une photographie impeccable et une vision idyllique de Paris qui renforce l’immersion. Toutefois, contrairement à « Manhattan », on a l’impression ici que l’environnement du récit prend le dessus et justifie les imprécisions de l’écriture alors qu’il devrait servir le propos. La ville de Paris est perçue comme un lieu d’errance, de rencontres, d’inspirations… On se souviendra notamment de la scène d’introduction qui fait balader la caméra dans les rues de la ville par une succession de plans fixes sur une musique jazzy appropriée qui reviendra fréquemment par la suite. On est donc d’accord pour statuer que Woody Allen propose une vision très attirante de Paris, mais qu’en est-il du propos du film ? Le spectateur rencontre Gil et sa compagne Inez en voyage touristique, où il découvre une première possibilité pour retourner dans le passé, qui est l’évocation, c’est-à-dire qu’un retour dans cette époque révolue s’opère alors naturellement à l’esprit. Gil est présenté comme un personnage attachant, nostalgique et lucide bien qu’il ne soit pas respecté à sa juste valeur, contrairement à Paul, un ami de Inez qui apparait avec beaucoup de classe et de présence, mais surtout très pédant. Cette-dernière renforce d’ailleurs ces traits de caractère en négligeant Gil et ses besoins d’évasion, contrairement à Paul qui se voit d’autant plus valorisé. Au premier abord, ces interactions frustrent mais n’agacent pas, du moins jusqu’à ce que Gil, restant pourtant le même dans le passé, apparaisse intéressant, sympathique, attirant. De là, le spectateur comprend que c’est l’environnement qui forge la personne que l’on est ou que l’on souhaite devenir : Gil a l’impression de ne pas être né dans la bonne époque mais s’appuie sur le passé pour évoluer et adopter une vision nouvelle de son présent. Le film s’efforce de justifier au mieux son mal-être incompréhensible, pour sa compagne notamment : Comment faire transparaitre au mieux cette nostalgie qu’il ressent pour une époque qu’il n’a même pas vécu ? En fait, après avoir erré sans but dans la nuit parisienne, à minuit précisément, Gil est abordé par une voiture ancienne qui lui permet de découvrir en personne cette époque qu’il aime tant, et rencontrer ses modèles littéraires. A présent, LE soucis du film est ce concept : ce retour dans le passé devrait être amené, certainement pas par l’intermédiaire d’une sorte de machine à remonter le temps, mais par une mise en scène personnelle dans l’esprit de Gil qui se construit un monde passéiste, construit sur son admiration, ses attentes et ses regrets. Cette « illusion » ne doit en aucun cas être brisée, dévoilée, ni même être perçue comme telle, simplement comme une parenthèse méditative dans la vie de Gil. En poursuivant dans cette voie, de nombreuses incohérences émergent puisque le présent et le passé ne devraient pas communiquer directement : le carnet de Adriana qui est récupéré dans le présent présentant ses sentiments pour Gil ou encore le détective privé perdu dans l’Histoire de France n’auraient jamais dû exister. Le concept de montrer que chacun peut résider dans son monde passéiste idéalisé est extrêmement intéressant, mais le fait qu’il soit atteignable en traversant physiquement le temps ruine le principe. D’ailleurs,
faire revenir Adriana au XIXème siècle
aurait pu être ingénieux, dans le sens où montrer qu’en restant dans « l’illusion », le personnage comprend que l’idéalisation est éphémère et qu’il faut s’efforcer d’essayer d’influencer le cours de son présent. En revanche, certaines idées sont particulièrement efficaces, comme le fait de justifier ces rencontres avec de potentiels problèmes neurologiques ou encore le fait que Inez ne voie jamais cette ville du passé car cela prouve qu’il y a un caractère personnel dans ce processus. Le film est intellectualisé avec de nombreuses références qui font toujours mouche sans paraitre forcées (comme Woody Allen a toujours su le faire), la photographie se veut extrêmement efficace. La comparaison entre Gil et Paul concernant la perception qu’ils ont du passé ressort naturellement : là où Gil se base sur le présent pour faire exister sa version idéalisée du passé, Paul s’appuie sur le passé pour se sentir exister dans le présent. « L’illusion » doit servir le présent, (donner un fil conducteur au récit, faire évoluer Gil dans sa conception de son époque ou de celle qu’il regrette) et non être un monde parallèle dans lequel il peut se rendre physiquement. Il aurait été intéressant que le détective engagé ne découvre rien puisqu’il ne trouverait qu’un Gil errant dans les rues de Paris, méditant, écrivant, pensant au monde dans lequel il se serait pleinement épanoui. Dans les portraits des personnages, des nuances auraient été préférables tant les traits sont grossis (notamment la scène au bord du fleuve avec Zelda, les parents d’Inez ou encore
le dénouement du couple de Gil qui s’est fait tromper
). D’ailleurs, le film prend soudainement l’allure d’un mauvais teen movie avec le retour de sa compagne et de ses parents, les boucles d’oreilles perdues…
Le rendez-vous à la fin avec le personnage de Léa Seydoux
(ça fait d’ailleurs très plaisir de la revoir à l’écran) est encore une fois très agréable mais tombe un peu de nulle part, une scène de plus à deux n’aurait pas été de trop, d’autant plus que le tout fait un peu artificiel (« Moi aussi j’aime la pluie »). « Midnight in Paris » est par conséquent un film au potentiel énorme gâché, avec un casting de qualité comme Owen Wilson (qui est une bonne découverte), Marion Cotillard, Léa Seydoux, Adrian Brody ou encore Kathy Bates même si ces derniers ont des rôles minimes ; qui aurait pu être un chef-d’œuvre d’une beauté remarquable et d’une nostalgie incomparable mais qui se trouve être au final un échec.