La prostitution étudiante est un thème intéressant, avec lequel il est facile pour un cinéaste de se casser la gueule. En l'occurrence, la cinéaste derrière la caméra, une polonaise du nom de Malgorzata Szumowska (oui, il y a mieux comme nom), livre ici un projet authentique, qui n'a pas froid aux yeux et qui surprend par sa réussite à entrer pleinement dans son sujet. J'avoue avoir eu de sérieux doutes durant les premières minutes, le côté faux-documentaire sonnait... un peu faux, et je craignais que la platitude visuelle prenne le pas sur un sujet pourtant haut en émotions. Mais ce ne fut pas le cas, passé une introduction que je considère plus ou moins ratée, des clips de vie s'enchaînent sous nos yeux avec un talent certain dans la manière de les diriger.
Car le film dans son ensemble se révèle véritablement comme des segments de vies, des captations d'intimités, il n'y a pas de véritable point de départ ou d'arrivée, comme le montre la (merveilleuse) séquence finale : il n'y a qu'une vie faite de moments. Le récit est donc très décousu en soi, on ne sait pas toujours ce qui arrive avant, après, pendant, mais on apprécie (le terme n'est pas forcément le mieux choisi) l'authenticité de ces clips vidéos, de ces mini-séquences. Trois femmes en sont les protagonistes principales, Juliette Binoche en épouse délaissée, journaliste féministe qui s'intéresse au phénomène de la prostitution étudiante. Et deux jeunes filles, une française et une polonaise, putes à leurs heures perdues, mais plus souriantes et bonnes vivantes que le fantôme qui les interroge.
Le film dépasse véritablement les clichés (même s'il n'en évite pas certains) en s'attachant davantage à nous représenter la vie de ses femmes, leur quotidien et tout ce qu'elles subissent, avant de vouloir faire un grand discours contestataire et anti-machos ; ce qui rend le discours au final plus percutant car moins prétentieux ou hautain. L'approche est humaniste avant d'être féministe, le cadre est intime avant d'être universel, et le message est touchant avant d'être révolutionnaire. Ce qui est une qualité et qui montre les différences avec un autre film français, qui se voulait une grande critique aigüe de l'égoïsme de la société, 38 témoins, et qui s'était planté en déconsidérant totalement ses personnages, pantins de la critique et nous pas êtres humains attachants. Ici, il n'y a pas de pantins ou d'images types (mis à part une exception) mais il y a des êtres fragiles, qui fuient l'ennui, la pauvreté, la peur, en plongeant dans des pratiques certes dégradantes, mais qui reflètent un mal plus profond, qui ne les ronge pas seulement elles.
Elles, ce ne sont pas que ces prostituées, elles, ce sont toutes les femmes dont le quotidien devient un calvaire, un assemblage d'images, d'oublis, d'ignorances, où elles se perdent minute après minute, année après année. Les rapports entre les hommes et les femmes y sont crus, comme si quelque chose était brisé, des égratignures physiques ou psychiques accompagnant chaque séquence du film. La réalisatrice va à la rencontre de cette intimité en usant et abusant de plans rapprochés, serrés sur ces personnages isolés dans les appartements parisiens. Les clips sont certes inégaux, certains apparaissent parfois un peu limités en terme d'intérêt, mais dans l'ensemble c'est une bonne réussite que cet assemblage désassemblé qui prend forme avec une réelle sincérité. Seul bémol, si on évite le cliché "les putes, toutes des putes" et qu'on leur donne un symbolisme différent, difficile de lire autre chose dans ce discours que "les hommes, tous des salauds". Mais bon, la tâche est mince car pas excessive, et la qualité artistique de certaines séquences (notamment dans le dernier tiers), parviennent à faire oublier ce léger raté. Que ce soit la séquence du dîner ou du petit-déjeuner, symboles d'un quotidien qui hurle haine et désespoir, elles sont rondement menées pour nous apporter ce fatalisme et cette acceptation qui semble planer sur le film dans les derniers instants.
Elles pose dont un œil sur la vie qui n'est pas dénué d'animosité mais qui s'admet condamné, voué à la répétition de cette routine. Les histoires ne connaissent pas d'épilogues fantastiques, la vie n'est pas un film, le film se rapproche de la vie avant de se rapprocher du cinéma et y arrive à merveille. La BO accompagne le tout avec justesse, en parvenant à atteindre des pics fidèles au thème, sensuelle et dérangeante. Une petite surprise donc que cette production plutôt boudée par l'ensemble des critiques, mais qui pourtant mérite une attention particulière pour la fraîcheur qu'elle apporte à un thème difficile à traiter.