W. E. (Wallis et Édouard) offre certes une réalisation admirable, d'une esthétique somptueuse, particulièrement léchée, mais Madonna passe complètement à côté de son sujet, en brossant le portrait toc de relations mythifiées. En effet, la vérité historique se trouve délibérément occultée; c'est là-dessus que les critiques intello auraient dû intervenir, plutôt que de s'en prendre au talent de Madonna, dont ils font passer le soin esthétique pour d'insupportables afféteries. Ainsi, certains prennent ce raffinement pour un maniérisme écœurant, ce qui semble injustifié puisqu'au-delà de ses effets de style, la mise en scène reste posée et relativement sobre. En fait, le problème est ailleurs. On suit donc l'enquête personnelle d'une riche dandie new-yorkaise, autour du scandale que formait le couple Édouard VIII-Wallis Simpson. En parallèle avec une histoire d'amour ratée contemporaine, on nous joue un double drame amoureux. La relation entre Édouard et Wallis, une Américaine déjà divorcée (...d'un homo alcoolique), était plutôt perverse et factice: non seulement elle avait des allures de sadomasochisme mais, Edouard étant homosexuel «in the closet», cette union ne fut issue que d'un profond refoulement. Or cela ne se savait pas officiellement, pas plus que la raison pour laquelle Edouard fut évincé du trône d'Angleterre, auquel il accéda début 1936. On a utilisé le scandale de sa liaison avec une femme mariée à un autre (Ernest Simpson) pour exiger son abdication, fin 1936. Or ce n'était là qu'un prétexte dont le Premier ministre britannique, Stanley Baldwin, s'est emparé afin de masquer la véritable raison du rejet, à savoir les accointances très proches d'Edouard avec l'extrême-droite. En effet, il avait refusé catégoriquement en mars 1936 une intervention franco-britannique contre l'ocupation par les nazis de la Rhénanie, qui avaient alors violé le Traité de Versailles. Le gouvernement ne le lui a pas pardonné. De plus, Edouard, réduit à la fonction de gouverneur des Bahamas, acceptera, en 1938, les invitations de Mussolini et d'Hitler! À cette honteuse position politique s'ajoute un mariage arrangé complètement faux, à vocation de couverture médiatique, puisqu'Edouard et Wallis finissent par former un ménage à trois avec le milliardaire homo Jimmy Donahue. Et voilà qu'on a fait passé Edouard pour une malheureuse victime du conservatisme anglais et que son couple finit par incarner un mythe romantique. Rien de plus faux. Madonna filme à sa façon une histoire queer, en restant la surface, avec force sentimentalité de pacotille, sans en révéler les tenants et aboutissants. Elle le fait de manière élégante mais aseptisée, recouvrant totalement le fond de puanteur fasciste qui explique cette déchéance honorifique. Niveau jeu d'acteurs, la jolie Abbie Cornish, d'une grâce incônesque, incarne parfaiement son rôle. Les autres acteurs nourissent l'émotion avec plus ou moins de talent. James Darcy, blondi, y apparaît sublimé, et Andrea Riseborough, épatante, emporte l'adhésion. Le ton reste intimiste et la facture se veut sensuelle. Malgré la longueur du film et les allers-et-retours temporels, on évolue à travers la combinaison rêveuse ou surréelle du passé et du présent, dans une brillante fluidité entremêlée, parfois agaçante, néanmoins cohérente. En avançant dans ses recherches, Wally (portée par un rapprochement homophonique) développe une relation assez fusionnelle avec Wallis et sa destinée, à la fois dramatique et mélancolique. Le film nous transporte ici et là, jusqu'à Paris, non sans clichés, dans une atmosphère égale de magnifiscence. Pour la sortie du film, la presse s'est faite mauvaise - très. Au lieu de prendre le film tel qu'il est, on l'a auteurisé à mauvais escient (en s'en prenant à Madonna) et on l'a descendu à fond. Quel dommage car s'il y a une critique à émettre, ce n'est pas sur la forme mais sur le fond! Le traitement historique du sujet s'avère en effet étonnamment esquivé et opaque (rien sur les rapports d'Édouard avec les nazis); il n'est qu'abordé qu'au niveau de l'intime, et encore, même là on n'est pas en présence de la vérité. Le film se termine en fin de générique par l'agréable chanson "Masterpiece" tirée de l'album MDNA . Si on le prend pour ce qu'il est, abstraction faite de l'histoire, W.E. ne manque pas de séduire. Or son propos reste trop artificiellement sentimental, flou, anecdotique mais surtout historiquement mensonger. À ce niveau de fausseté raffinée, on peut affirmer que Madonna trompe bien son monde.