Je n'ai pas vu "Two Days in Paris", ni à sa sortie, ni depuis ; je n'ai d'ailleurs vu aucun des films réalisés par Julie Delpy, et s'ils présentent l'intérêt d'un regard neuf, mes commentaires enfonceront peut-être des portes ouvertes pour ceux qui ont vu la première comédie sentimentale (plus comédie que sentimentale) de la réalisatrice franco-américaine. "Two Days in New York" se présente comme la suite de l'opus parisien, même si les aléas de la vie (décès de Marie Pillet, la mère de Julie Delpy qui jouait la mère de Marion) ou de la production (Adam Sandler laisse sa place à Chris Rock, Julie Delpy voulant éviter que cela rappelle trop l'autre dyptique au scénario duquel elle a participé, "Before Sunrise"/"Before Sunset") conduisent à des changements importants dans la vie de Marion, expliqués dans une scène introductive où elle présente sa famille recomposée à l'aide de marionnettes (les créatures de Marion ?).
Ce match retour se joue donc à New York, et le mécanisme déclencheur du décalage culturel ne sera plus celui de la jalousie d'un américain phobique confronté aux ex de sa compagne française, mais l'irruption de ce que Julie Delpy elle-même qualifie d'anarchistes gaulois au pays du politiquement correct. Mingus, son nouveau compagnon, fait partie de la nouvelle bourgeoisie noire, et ce n'est pas un hasard s'il a un portrait en carton d'Obama grandeur nature avec qui il converse dans son bureau. Journaliste à The Voice, il anime aussi une émission de radio, et espère pouvoir interviewer le président quand celui-ci viendra à New York. Loin de la caricature du black amateur de rap, il manifeste son adhésion à l'american way of life par son rejet des joints, des éclats de voix et de l'impudeur, autant de caractéristiques qui définissent sa belle-famille.
Le père de Marion et le copain de sa soeur, et accessoirement son ex non prévu au voyage, restent bloqués quatre heures à la douane pour avoir essayé d'introduire en fraude 15 kg de saucisses et de figatelli. Voilà qui nous donne une idée de la subtilité du scénario, particulièrement quand il s'agit de la famille de Marion, puisqu'au père qui raye les limousines et au petit copain qui fait venir un dealer dans l'appartement de Marion, il faut ajouter la soeur exhibitionniste et hystérique qui exerce le beau métier de psychologue scolaire. On ne choisit pas sa famille, dit le proverbe ; Julie Delpy avait cette liberté, le moins qu'on puisse dire c'est qu'elle ne l'a pas gâtée.
A l'époque de "Two days in Paris", Julie Delpy disait : "Croyez-moi si vous voulez, mais les seuls qui en aient un peu pris ombrage, ce sont les Français : il y a une vieille tradition en France qui fait qu'on ne critique pas les défauts des Français. Les Français sont parfaits, c'est bien connu !" Facile de reprocher aux spectateurs français leur chauvinisme et leur manque d'humour, surtout quand cela évite de s'interroger sur la lourdeur de certaines scènes basées uniquement sur des clichés (le père qui ne se lave pas, le beauf sans-gêne, la soeur donneuse de leçons) et sur le jeu catastrophique d'Albert Delpy. Les travers des Américains sont présentés avec plus de finesse, comme le revirement apitoyé de la voisine qui s'apprêtait à demander l'expulsion de Marion lorsque celle-ci lui apprend qu'elle a une tumeur de la même nature que la mort de la mère d'Antoine Doinel, ou l'inquiétude de Mingus devant la morbidité du déguisement d'Halloween de sa fille.
Débarassée de la famille d'envahisseurs insupportables, l'histoire comporte un certain nombre de bonnes idées, comme la vente aux enchères conceptuelle de l'âme de Marion, ce qui nous vaut une apparition de Vincent Gallo, ou une scène assez savoureuse basée sur la traduction approximative par Manu de la conversation entre Jeannot et Mingus, même si certaines de ces idées ne sont pas exploitées jusqu'au bout, comme celle du personnage de Lukas (Daniel Brühl) qui apparait à la télévision comme la Fée des chênes, un activiste écologiste qui grimpe dans un arbre de Central Park pour en empêcher l'abatttage (idée déjà vue dans " Little New York").
La principale qualité du film, certes importante, réside dans l'indéniable sens du rythme dans l'écriture et le montage, symbolisé par la bonne idée de résumer la visite touristique de New York par un diaporama accéléré. Les scènes s'enchainent, les répliques fusent, et on oscille entre la référence à Woody Allen (pour la diarhée verbale des personnagse et la place du décor New Yorkais) et les sitcoms (pour la platitude frontale de la réalisation et le jeu de certains acteurs). Mais cette énergie et la drôlerie de certaines situations ne suffisent pas à faire oublier le sentiment de gêne que l'on éprouve trop souvent devant tant de balourdise.
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