Lundi soir, Jean-Jacques Annaud était à Perpignan pour parrainer le centenaire du Cinéma le Castillet. A cette occasion, le réalisateur de La guerre du feu, l’Ours, Le Nom de la Rose,… présentait en avant-première sa fresque hollywoodienne d'une Arabie millénaire.
Une belle réalisation
Adapté du roman «La Soif noire» de l'auteur suisse Hans Ruesch, «Or Noir» bénéficie d’une réalisation aux petits oignons. Jean-Jacques Annaud a puisé son inspiration dans de nombreux textes, tableaux d’Orient et images d’archives pour nous entraîner au cœur de ces grands déserts d’Arabie. Après avoir -véritablement- mordu la poussière sur le tournage (beaucoup d’acteurs portaient des masques de plongée sous les chechs pour échapper aux tempêtes de sable), il s’agissait d’en mettre plein la vue au spectateur. Tourné entre octobre 2010 et mars 2011, en grande partie dans des décors naturels, en Tunisie -où venait alors tout juste d’éclore une révolution- dans le désert du Qatar,… «Or Noir» est un conte oriental filmé à l’Hollywoodienne. La caméra est virtuose, virevolte dans de superbes décors arabes entre les quelques 7000 costumes traditionnels, offre des panoramas léchés du désert, des cités orientales majestueuses et quelques scènes de bataille épiques,... Pour la bande son, le cinéaste a fait appel au compositeur américain James Horner, dont la signature figurait déjà sur les B.O de «Stalingrad» et «Le Nom de la Rose». A noter également: tous les sons et voix du film ont été réenregistrés après tournage. Un travail de longue haleine pour obtenir une clarté sonore optimale, mais aussi pour couvrir les blatèrements incessants des nombreux chameaux présents sur le plateau.
Fable grand public
Avec «Or Noir», Jean-Jacques Annaud souhaitait faire un film 19777521d’aventure qui se déroule dans le monde arabe, raconté à travers la culture de cette civilisation, son histoire, ses héros,… et qui ne soit pas vu à travers le prisme de la culture occidentale. L’incipit de la guerre pétrolière, esquisse sommaire d’une critique de l’impérialisme américain, apparait vite comme un prétexte à une fresque plus intemporelle (ni le lieu ni le temps du film ne sont situés précisément). Un conte humaniste qui, s’il troque la profondeur de champs pour un angle «grand public», n’en reste pas moins divertissant et offre quelques pistes d’approche intéressantes. L’ équilibre complexe entre culture traditionnelle et modernité est l’un des thèmes majeurs du film, abordé de façon presque allégorique par le biais des deux émirs. Le roi Amar (Mark Strong) incarne la tradition «pure» et le respect «jusqu’auboutiste» de la parole sacrée quand le sultan Nesib (Antonio Banderas) est un chef roublard et cynique, obnubilé par l’argent et le pouvoir que lui procurerait l’exploitation des puits de pétrole. En découlent quelques dialogues éclairés sur la place de l’Islam dans le monde arabe et sur ses multiples interprétations possibles; instants parfois drôles, souvent pleins de bon sens et toujours bons à entendre: «Dans le Coran, le mot paix est deux fois plus employé que le mot guerre». Si le film peut se lire (et se justifier) comme étant une fable populaire, on regrettera quand même la galerie de personnages un peu trop lisses ou stéréotypés: le second rôle sympathique, ami fidèle du héros, la séduisante esclave sauvage ou la princesse prisonnière de sa tour d’ivoire, censée faire battre l’histoire d’amour avec le héros… Dommage. Pour autant, les liens du sang et leurs implications restent la pierre angulaire de cet «Or Noir». Qu’il s’agisse de relations père-fils ou d’amour fraternel, ils donnent au film toute sa dimension romanesque, presque cornélienne, cristallisée par le personnage de Tahar Rahim. D’abord présenté comme un héros candide et fermé, il s’avérera être le personnage le plus riche et complexe du film, ne cessant de se questionner, d’évoluer et de mûrir dans ses actes et dans ses réflexions sur la religion, la famille, la guerre,… Dans ce conte des mille et une nuits où les liens du sang se déchirent et les destins se créent, quand le soleil se lève à l’Est, le prophète repart au charbon.