Ce film documentaire est construit en grande partie sur un fond d'images d'archives, ce qui donne au monteur un travail différent de celui de la fiction. Et le réalisateur ne s'y trompe pas : "Récupérées chez les particuliers, les fondations, les industries, les cinéphiles, ces archives sont les restes d’une archéologie culturelle et sociale de la ville maritime la plus importante d’Italie. Les images les plus anciennes remontent au début du 20ème siècle, les plus récentes au début des années 90; elles s’insèrent autant dans la narration de l’histoire d’Enzo que dans le récit de l’histoire de la ville. Un grand hommage doit à ce titre être fait à la jeune monteuse Sara Fgaier, car c’est elle qui a réalisé les recherches et a donné au film cet aspect. La vocation et la forme du film se sont précisées petit à petit. Nous ne sommes pas partis d’un scénario mais nous avons évolué dans la construction du récit en salle de montage, jour après jour", explique t-il.
Au début de ses repérages, Pietro Marcello n'a pas encore d'histoire et cherche un sujet dont il puisse véritablement s'imprégner. Décisive, sa rencontre avec Enzo, personnage central du film, s'est néanmoins faite par hasard : "C’est arrivé devant la boulangerie d’un vieux monsieur de la région des Pouilles. C’est ici que j’ai vu Enzo pour la première fois et j’ai tout de suite compris que son visage exprimait le cinéma que je souhaitais faire. J’ai toujours pensé qu’on ne juge pas un acteur par ses capacités techniques, mais surtout par l’histoire que son visage raconte. Enzo n’est pas un acteur, mais il aurait pu l’être. Il m’a tout de suite montré les marques des coups qu’il avait reçus, les balles qui sont restées dans ses jambes et qui proviennent de sa dernière rixe avec deux policiers." Fasciné quasiment immédiatement, ce qu'il apprend par la suite le conforte dans ses impressions : "Le boulanger m’a parlé de ce quinquagénaire sicilien, connu aussi comme “Enzo le Roc” et “Enzo Moustache”, survivant d’un sous-prolétariat aujourd’hui disparu, qui a grandi depuis l’âge de deux ans dans la rue Prè, et qui était le fils d’un personnage de la vieille Gênes, le vendeur de rue Pippo (“ briquets, cigarettes, gadgets, grenades ! ”)", s'amuse-t-il.
Pour mener à bien son projet, le réalisateur a dû s'imprégner de la ville et construire une intimité nouvelle avec son environnement. Il explique comment le tournage s'est déroulé, non sans difficulté : "J’ai habité dans un petit appartement qui donnait sur piazza Del Campo, dans les locaux utilisés pour accueillir les assistés de la Fondation. Durant les premiers temps, mon champ d’action était d’observer le paysage humain par la fenêtre de ma chambre, rues Croce Bianca, Prè et Sottoripa. Quelquefois, avec le reste de la petite équipe nous allions à la recherche, du levant au couchant, d’un paysage, d’un visage, d’une petite crique sur la mer. Au début cela a été très difficile. Je me suis senti dépaysé dans ce contexte très différent de celui auquel j’étais habitué à Naples, une ville où, malgré sa violence, le tissu social est encore présent. Parfois, j’ai haï la piazza del Campo, notamment parce que très souvent la nuit, j’ai été obligé de jeter de l’eau par la fenêtre à cause des innombrables échauffourées entre drogués et dealers et aussi parce que je n’arrivais pas à me faire à l’idée que personne ne se plaigne de l’absence de volonté de créer une communauté."
Pour le réalisateur, le choix de la ville est empreint d'une nostalgie intime qui offre au film cette atmosphère si particulière. Alors qu'il n'en est pas issu (il a grandi à Naples), la cité génoise a pourtant toujours fait partie de son histoire : " Je me souviens des récits de mon père, marin pendant de nombreuses années, qui embarquait sur le ponte dei Mille ; durant toute sa jeunesse Gênes a incarné pour lui la ville idéale. Il me parlait toujours de sa beauté, de sa vieille ville très animée, du ciel et de ses couleurs. J’ai connu une autre Gênes, une ville du nord qui regarde le sud, serrée entre la mer et la montagne, la campagne et les ports, la désindustrialisation et la modernité tertiaire. Sa population est son histoire, les ombres des lieux disparus et les échos des mémoires perdues sont les restes visibles du passé. Aujourd’hui cette ville n’offre plus de départs pour les Amériques, ni du travail comme par le passé. Et puis, il y a eu les événements survenus en 2001, lorsque le chef lieu de la Ligurie a été le théâtre de violences et de répressions qui ont changé la vie politique de notre pays...", évoque-t-il.
Ce sont les jésuites de la Fondation San Marcellino, qui assistent depuis 1945 les marginaux et les gens en difficulté de Gênes, qui ont lancé le projet en accord avec l'auteur et producteur du film.