La vie, expérience de l'Amour, séjour en Amour
Ce texte est la traduction en français de mon compte-rendu pour des amis anglophones faite au retour de sa projection le 2 septembre. Il n'est jamais trop tard pour la poster sur Allociné..
"Nouveau né. J'ouvre les yeux.
Je fonds. Dans la nuit éternelle.
Une étincelle.
Tu m'as sortie des ténèbres.
Tu m'as ramassée de terre.
Tu m'as ramenée à la vie."
Le film s'ouvre sur quelques plans de caméra vidéo de mauvaise qualité, semblable à de la VHS, dans Paris. Puis dans le TGV.
Marina vient juste de rencontrer Neil.
Ils semblent dans un amour partagé. Ils semblent commencer une vie ensemble en France, à Paris.
Après quelques minutes, ils sont dans un Mont Saint Michel désert.
"J'ai monté les marches... vers la Merveille"
"I went the stairs ... to the Wonder"
Tout le film continuera ainsi, de la même manière que ces premiers moments: le film est plus conduit par la narration que le précédent, et ce sont les voix-off qui conduisent cette narration, elles expliquent souvent les sauts, les trous comme les mots d'Holly le faisaient dans Badlands (La Balade Sauvage). Mais elles continuent tout en même temps de poser des questions.
D'une certaine manière, c'est un mélange complexe du Nouveau Monde et de The Tree of Life. Sur un plan esthétique, il y a des scènes qui sont de façon frappante, similaires à certaines de The Tree of Life.
Neil grimpe une colline ... comme Jack adulte, dans son esprit, grimpait dans le désert... (La différence est évidemment que ces scènes ne sont pas imaginaires)
Des petites vagues sur l'eau....
Des ombres en contrejour dans une autre pièce. Des voiles de rideau. Des visages dans ces voiles.
Des enfants jouant à l'école..
Marina qui prononce "L'amour nous fait un, deux, un" qui fait écho à une voix off de Pocahontas.
Les mots de Quintana "Help me not to pretend.. Pretend feeling I don't have" qui font écho à la fois à une prière de Pocahontas dans le Nouveau Monde et à la prière de Jack.
Le "Je te suivrai. Où que tu ailles" de Marina qui fait écho à la promesse de Mrs. O'Brien de fidélité à Dieu.
Mais tout à la fois, nous entendons, nous suivons une histoire, comme nous avons suivi une histoire dans le Nouveau Monde. Et une histoire dont, ce qui semble être initialement le thème principal, est similaire au Nouveau Monde (une histoire d'amour
La Marina heureuse, la Marina amoureuse est montrée et filmée comme un personnage aussi fantasque (ou peut-être plus encore) que Pocahontas heureuse, jusque dans les gestes (qui pourrait aider à perdre quelques spectateurs, puisque ça semble irréaliste d'une femme de notre époque... mais la mémoire -- puisqu'il semble que le film soit destiné à être perçu comme des souvenirs, comme dans TToL -- sélectionne le meilleur, le mémorable, "the outstanding" dans les moments heureux).
Et la Marina désespérée est filmée en un personnage égaré similairement à la manière dont était filmée Pocahontas en son désespoir.
Mais ce ne sont pas les seules facettes du personnage de Marina.
Au contraire, Neil est filmé principalement à la façon d'un Mr O'Brien (et pas vraiment comme Sean Penn, malgré quelques similarité esthétiques évoquées plus haut.
Nous le suivons enquêtant près de machines, près et dans l'eau, comme nous avons suivi Mr O'Brien dans l'usine. Nous le voyons chez l'avocat.
Bien qu'il ait du dialogue, bien qu'il ait de la voix off, bien que nous le voyons si souvent, nous savons si peu de ce qui le mène.
Ce que nous avons, ce sont des personnages (principalement Marina, et Jane) qui nous parlent de lui, de la vie, des sentiments à ses côtés. Comme Mr O'Brien, nous savons plus à son sujet par ses gestes, que par ses mots : ils est filmé dans certains scènes comme un homme souffrant, mais dans ces scènes, qui révèlent tant du personnage, il est vu à distance ou comme une forme noire, une ombre dans le contrejour. Comme Mr O'Brien dans les bois, ou comme son ombre à sa porte.
Marina à un moment de leur histoire dira de lui "Il y a des gens qui n'ont pas le courage de mettre fin aux choses. Ils laissent les autres le faire pour eux."
D'une certaine manière, cette opinion sur Neil pourrait résumer la façon dont il est filmé. Mais cette phrase ne résume pas le personnage complexe qu'il semble être.
Et pourtant, nous voyons son visage si souvent, probablement autant que nous voyons Marina, peut-être plus.
Il a été écrit que Ben Affleck n'avait pas le "lead". Mais il n'est pas non plus un personnage secondaire. Il partage la lumière, le lead, tout en étant aussi une ombre. Il est une ombre, tout en nous donnant des voix off. Tout en ayant des lignes de dialogue.
Il est en fait l'astre autour desquels les personnages gravitent.
Ce qui est frappant en fait, et ce qui rend le film différent dun simple mélange du Nouveau Monde et de The Tree of Life c'est la somme énorme de voix off. Et combien, je l'ai déjà dit, cela mène la narration, combien cela narre l'histoire au contraire du Nouveau Monde.. tout en parvenant dans le même temps à être tout autant interrogatif, introspectif, philosophique (probablement même plus en quantité
Durant peut-être la moitié du film, ou peut-être les deux tiers, pour un spectateur ordinaire (mais aussi pour un spectateur plus au fait de l'oeuvre de Malick) l'histoire ne semble pas articulée. Quel est le rôle, le sens de la futilité de l'histoire, pourquoi suivons-nous leur vie? En quoi cela nous concerne, de manière plus profonde que l'histoire? En quoi la crise de foi du Père Quintana est liée à tout ça? Et les extrêmes du personnage de Marina, peut-être, n'aident pas le spectateur ordinaire à se connecter avec l'histoire.
Et puis, tout soudain s'éclaire.. (tout au moins pour moi)
L'amour est ce qui lie tout cela, qui connecte tout cela.
Terrence Malick nous montre l'amour sous ses multitude de forme, et comment il peut-être difficile de les faire coexister en nous-même en tant qu'être humain. L'amour entre un homme et une femme, l'amour entre deux parents, une mère et sa fille éloignée, l'amour en tant que désir, la chair, l'amour dans la haine, l'amour des les disputes parfois violente, l'amour dans le pardon, l'amour en tant qu'amour de Dieu, l'amour dans l'aide aux autres, qui soient-ils, prisonniers, personnes mourants, agée..
A un moment, auparavant, Marina avait demandé, "Où sommes nous quand on est là"..
Où sommes nous tous, finalement... En ce que nous expérimentons dans l'instant même, la vie... Sommes nous destiné à être plus heureux maintenant en cette vie où un autre "moment"..
La réponse pour Malick est que nous sommes là pour expérimenter l'Amour. L'Amour qui est la voie, le chemin vers ce que Malick poursuit dans toute son oeuvre: voir, percevoir l'éternel partout, dans chaque instant, en percevoir la bénédiction.
A propos de cela, le Père Quintana dira, dans une foi finalement renouvelé: "We (Men?) are meant to see you"
Quelques un des derniers mots, prononcés par Marina, "L'amour qui nous aime. Merci" ("Love that loves us. Thank you" dans la version sous-titrée en anglais) renforce ma conviction et semble un indice laissé par Malick, comme les mots épiphaniques de Mr O'Brien, en réaction à sa mutation, l'étaient pour un des sens de The Tree of Life.
Ainsi, cette expérience de l'Amour qu'est notre vie, est celle de l'amour des hommes, sous tant de formes. Mais plus encore, l'expérience d'un plus grand Amour: l'instant présent.
Quand nous avons quitté la salle, je souriais. J'ai souri longtemps. Quel moment extraordinaire. Quel difficile, exigeante mais si récompensante expérience.
PS: Le plus incroyable peut-être.. J'ai eu quelques jours de le voir à nouveau deux journées plus tard. Et sans doute parce que j'avais un regard moins analytique, j'ai vu ce film que je croyais connaître et si magnifique comme si je le découvrai.. Et ... quel flot, quelle rivière, quelle poésie ininterrompue.
Le monde était différent, les visages des gens avaient changé, le ciel avait une couleur merveilleuse, quand je suis ressorti du cinéma.