Pour la première fois de sa carrière, Terrence Malick ne réalise pas un chef-d’œuvre. En effet, si "À la Merveille" recycle un grand nombre de techniques et de ficelles utilisées dans l'immense "The Tree of Life", on sent ici un vide, comme si le cinéaste ne parvenait pas à atteindre la puissance lyrique de son prédécesseur, malgré la beauté des images, les amples mouvements de caméra et la profondeur de l'écriture. Il n'y a nulle ambition cosmogonique dans "À la Merveille" et la splendeur graphique semble donc ici moins justifiée, comme si les thèmes abordés étaient trop terre-à-terre, pas assez imposants pour se fondre dans le décorum malickien sans créer de décalage. De même, on se souvient des introductions bouleversantes de "La Ligne rouge" et "The Tree of Life", qui faisaient monter les larmes aux yeux du spectateur en moins d'une minute ; ici, la platitude semble être de mise, et le réalisateur s'être engouffré dans une impasse artistique, ne parvenant pas à filmer l'époque contemporaine au tournage, qu'il aborde pour la première fois dans son intégralité. Cependant, il s'agit seulement des premières impressions, car si la Palme d'Or 2011 était un chant universel à la Vie, on comprend vite que "À la Merveille" est son équivalent pour l'Amour. En effet, à travers des acteurs habités, le scénario fait confronter l'amour terrestre à l'amour divin, avec tous les sentiments qui leur sont liés, extase, déprime, jalousie, colère, et le résultat est à ce niveau très convaincant. L'histoire est après tout simple et linéaire, mais la façon dont elle est filmée augmente sa profondeur et l'universalise bien – à ce propos, il faudra attendre le générique de fin pour apprendre les noms des personnages, et il est à noter que le drame qui se joue est autobiographique.
Cela dit, même pour les admirateurs de Malick, l'approche prise ici est assez déstabilisante, principalement en raison d'un choix nouveau vers lequel toute sa carrière tendait mais qu'il avait su éviter jusqu'à présent : si la voix off est la marque de fabrique de ses films et joue un rôle majeur dans leur beauté et dans leur profondeur, c'est la première fois qu'elle supplante complètement les dialogues, qui sont ici très rares. Cela est parfois dérangeant car, si l'écriture du cinéaste est incontestablement très belle et emplie de poésie, certaines répliques semblent ici superficielles, incongrues voire même ridicules. Ceci est surtout dérangeant si l'on ne parvient pas à rentrer dans le film, car le spectateur va alors prendre de plus en plus de distance et plonger dans l'ennui, mais en vérité, la poésie est toujours présente en quantité.
Quant aux acteurs, s'ils n'ont pas la fraîcheur des enfants de "The Tree of Life", ils sont néanmoins excellents et surtout emplis de naturel. On ne sait pas grand-chose de leur histoire ou de leur passé, mais on a l'impression de les connaître intimement – en particulier grâce aux voix off. Olga Kurylenko est singulièrement exquise, pleine de grâce et de folie intérieure ; elle représente à la perfection l'amour et s'impose surtout comme l'un des personnages de la filmographie de Malick dont il est le plus facile de se sentir proche. Quant à Rachel McAdams, elle est rayonnante et la séquence où elle apparaît est assurément la plus belle du film, peut-être la seule à égaler les instants transcendants qui parcouraient ses films précédents, avec le passage au Mont-Saint-Michel et les plans finaux. En effet, outre la beauté plastique de cette scène, on trouve plus de dialogues – les deux personnages étant américains, ils peuvent communiquer ensemble dans la même langue – mais on sent aussi une histoire tacite entre les amoureux, histoire garnie d'émotion. Dommage que la présence de Jane ne dure qu'un quart d'heure, car il y avait là de quoi tenir un chef-d'œuvre. En revanche, le personnage de Javier Bardem est beaucoup plus problématique. Non pas que l'acteur joue mal, mais son histoire personnelle, ses doutes et sa crise de foi s'insèrent difficilement dans l'intrigue principale, voir la gâtent un peu. Il aurait donc été préférable que le père Quintana reste un personnage secondaire, parfait quand il s'agit de montrer l'importance de l'amour et de souligner les rapports de Marina à la foi, mais bien trop pesant quand il passe au premier plan, via ses rencontres avec la population malade de cette ville américaine. C'est donc bien lui le principal responsable du caractère bancal du film et de l'ennui qu'il peut provoquer. Les longueurs s'installent d'ailleurs sur la fin lorsqu'il revêt plus d'importance, et l'œuvre se clôt donc de manière inégale, sauvée aux derniers instants par une conclusion tarkovskienne remarquable, aussi apaisante que déprimante mais contenant des images superbes, au point que le sentiment océanique rencontré par Marina (le même que celui que connaissaient Mme O'Brien dans "The Tree of Life" lors de la séquence cosmique et son fils à la fin du long-métrage) se transmet facilement au spectateur.
En somme, "À la Merveille" est un film difficilement accessible, parfois inégal mais bien marquant voire bouleversant, préférant l'immanence à la transcendance de "The Tree of Life", et qui pâtit peut-être des coupes du montage final, mais qu'il convient de voir plusieurs fois pour bien l'apprécier – encore faut-il en avoir le courage. Pour ma part, s'il m'a ennuyé au premier visionnage, il a été une véritable révélation au second.