También la lluvia, long-métrage espagnol d'Iciar Bollain, raconte l'histoire d'une équipe de tournage qui se retrouve en Bolivie, pour réaliser un film sur l'esclavage des aborigènes par les troupes de Christophe Colomb. Eux-mêmes sont au coeur d'une révolte du peuple local, qui se soulève contre la privatisation de l'eau. Ils vont alors devoir faire au mieux pour mener à bien leur projet, dans un climat de tension qui semble pouvoir exploser à tout moment. Empreint d'humanisme, También la lluvia s'appuie sur un procédé intelligent et exploité au meilleur de ses capacités, à savoir le film dans le film.
Aux côtés du réalisateur et de son producteur, nous allons découvrir comme eux la situation dans laquelle se trouve ce pays, où le peuple subit la loi, qui relève plus de l'exploitation que de la justice. Le film étant le projet de leur vie, ils n'hésiteront pas à mettre tout en oeuvre pour le terminer. Tiraillés entre leur fiction et la véritable situation, ils devront faire des choix, en leur âme et conscience. Ces deux personnages s'avèrent alors très complexes, puisqu'ils auront la responsabilité ingrate de travailler avec des acteurs locaux, qu'ils verront embarqués dans un conflit dont on ne peut deviner l'issue. Un de leurs acteurs principaux endosse par ailleurs un double rôle, celui d'instigateur de la révolution, fictive ou réelle. Il complète à merveille ce trio de personnages qui va évoluer tout au long de l'aventure et qui entretiendra des rapports compliqués, mais on ne peut plus sincères. Perdus entre désir personnel et désir d'entraide, leurs échanges tiennent le film à eux seuls, et les dialogues sont d'une profondeur remarquable. Sans être dans l'excès ou dans la surenchère, le choix des mots est juste et concis, pour mettre à nu ces personnages superbement interprétés, qui rendent la compassion totale.
Par ailleurs, le choix du thème sous abordé, à savoir Christophe Colomb, n'est évidemment pas anodin. Les deux histoires contées se rejoignent avec justesse et reflètent bien la lutte continuelle de ce peuple, dont il n'y a pas de début ou de fin, mais uniquement des instants présents. Le risque est pris, puisque de nombreuses scènes insistent à nous montrer du faux dans du faux. Et pourtant, le rendu est très positif, puisque nous sommes tout autant bouleversés par les "vraies" scènes que par les fausses, c'est la magie du Cinéma. L'environnement Bolivien est d'ailleurs utilisé à bon escient, sans trop en rajouter, juste ce qu'il faut pour ne pas rentrer dans la contemplation ou le sensationnalisme, mais rester dans l'esprit du film, qui ne se passe pas dans l'image mais dans la tête. La puissance émotionnelle qui se dégage de chaque séquence est sublimée par des acteurs qui croient profondément en ce qu'ils transmettent, et qui rendent alors l'oeuvre encore plus touchante.
Tout au long du film la pression ne cesse de monter, et les personnages évoluent progressivement, sur fond de révolte social, et sur forme d'apothéose d'un film pas comme les autres. Non seulement les protagonistes se retrouvent marqués à jamais à travers cette aventure, mais le spectateur aussi le devient. Le processus est similaire, chacun sort de sa fiction pour s'apparenter à la réalité, et en comprendre les véritables enjeux. Baignés par une bande-sonore qui intègre parfaitement l'idée du film, nous sommes immerger au plus profond de cette histoire, dont chaque séquence se révèle poignante et justifiée.
Iciar Bollain, tout en incluant des éléments qui permettent d'aérer son film (notamment quelques touches d'humour, rares certes, mais présentes et primordiales), suit sa ligne de conduite en livrant un film qui se veut à la parfaite limite entre le pur produit artistique et le message philosophique et politique. Si la fin n'est peut-être pas aussi intense que l'on aurait pu l'imaginer, je trouve que cela est bénéfique. Contrairement à tous ces films où l'on a l'impression que tout est réglé une fois les deux heures écoulés, ici ce n'est pas le cas. De nombreuses questions restent en suspens, et c'est tant mieux, car rien ne s'écrit et ne se termine sur la durée d'un film, nous ne sommes pas les seuls à l'apprendre.
También la lluvia est donc, grâce à ses personnages, ses dialogues, et sa justesse filmique, l'une des très bonnes surprises de cette année, qui confirme le talent d'une réalisatrice passionnée, aux idées claires et à un humanisme certain. Parmi ces films qui traitent de problèmes politiques tout en livrant une histoire solide, il fait très certainement partie des tout meilleurs.