Très bon film de Thomas Vinterberg (dont je n'ai toujours pas vu le Festen, qu'on dit très bien), mais il m'a manqué ce p'tit quelque chose à la fin - une larmouille, une intensité, auxquelles je n'ai (malheureusement, étant donné les qualités indéniables du film) pas goûté. Première scène formidable pourtant, avec ce baptême, représenté ci-dessus, sous un drap immaculé, d'un nouveau-né, non pas par la vieille et impérieuse Eglise, mais par deux jeunes enfants. Je ne suis pas bien sûr de l'intention anti-chrétienne de Vinterberg (enfin, faut toujours se méfier avec ce genre de von trierien) ; faut-il insister sur une contre-ritualisation, plus pure, moins dogmatique, ou bien sur la malheureuse nécessité de ritualisation, atteignant même l'horizon représentatif d'enfants, je ne sais pas trop ; en tous les cas, c'est splendide : la caméra de Vinterberg joue de cette intimité-rituelle ou cérémonie-privée avec un brio esthétique rare : maîtrisé, mais pas excessif, pas de doute, on est en présence de cinéma. L'image, dorénavant, ne quittera plus ces tons clairs, pâles, gris, non-colorés, qui accompagnent ici les circonvolutions drapées d'une origine lumineuse, épurée, innocentée, et ce malgré tout le négatif et tout le tragique qui viendront profaner ce commencement parfait. Il y a une beauté formelle dans Submarino qui résiste à toute infortune, à toute disgrâce dans le fond.
Car progressivement, toutes les pièces d'une sinistre machine à déterminisme social se mettent en place : la mère des deux frères est alcoolique, raison pour laquelle ils s'occupent du nourrisson. Seulement, petit problème : les deux frères, s'ils apparaissent dans un premier moment comme un pôle de résistance à la déchéance de la mère (refus de lui donner sa bouteille, choc électrique pour la mettre hors de danger et de conneries) et sortent la tête de l'eau par rapport à la figure classique de l'enfant-irresponsable, demeurent en fait, par une sorte de saloperie de déterminisme naturel, des enfants et rien que des enfants : dès que la mère sort, ils boivent, reproduisant ainsi, comme par l'ironie d'une contre-conduite, les travers de la mère. La conséquence, plutôt moche, c'est d'abord qu'eux vivent, alors que leur mère les condamnerait plutôt à l'abandon ou à crever de faim, mais c'est surtout qu'eux vivent avec le poids ineffaçable d'une mort, celle du nouveau-né, que l'alcool a provoqué comme au carré (malheur engendré par la mère, achevé par les enfants ; le truc, c'est qu'évidemment on ne peut pas imputer la responsabilité complète à la mère : la chaîne des responsabilités se dissout comme à l'infini (c'est ce qui fait la force du déterminisme), quand on imagine par exemple que le mec de la mère l'a abandonnée...).
Bref, après cette introduction, Submarino veut montrer que quand la vie commence mal, il n'y a aucune raison pour que ça s'arrange ; on voit d'abord le frère aîné, Nick, sortir de prison et errer, déprimé et sans succès, à la recherche de son frère. Là-dessus se greffe une quasi-histoire d'amour dont on croit d'abord qu'elle va rompre cette continuité malheureuse, jusqu'à ce qu'un gros clodo à l'arrache décide d'étrangler Sophie, la copine elle-même à l'arrache de Nick. Puis c'est autour du frère de Nick (non-nommé : il y a comme une importance du nom dans Submarino, du baptême initial et du nom que les deux jeunes frères attribuent au nouveau-né, jusqu'à la fin du film : y plane l'ombre d'un "nom non-dit" qui ruine comme à l'avance toute initiative personnelle par rapport à cette grande fatalité désastreuse), toxico, qui essaie de s'en sortir en revendant de la came. Bref, tout fonctionne plutôt mal, jusqu'à ce que les deux frères se reconnaissent, en prison, avant l'exécution de l'un des deux... Tragique moderne : ce n'est de la faute de personne, "on a fait ce qu'on a pu", mais voilà, le destin c'est le destin. Il y a des initiatives, tout le monde veut le bonheur de tout le monde (et en particulier, Submarino traite du lien parent-enfant, des responsabilités qui en découlent...), mais rien ne marche, comme une p*** de poisse. Le malheur colle à la peau, au corps, à la main ; le thème de la main est très présent dans Submarino : la main qui pourrit lentement mais irrémédiablement à cause d'une connerie d'énervement inutile, la main qui étrangle sous le coup de la folie, la main qui tient celle d'un enfant comme un paquet de drogue...
Le film ne se laisse pas réduire à des idées : il touche au déterminisme social, mais en traite bien, c'est-à-dire pas de manière intellectuelle. Au-delà de la réalisation contrôlée de bout en bout (image, mise en scène, tout est beau dans cette misère), des scènes autant crédibles qu'efficaces font de Submarino un film indiscutablement réussi. On sent de la finesse, de l'intelligence, de la nuance, une sorte de retenue brillante un peu partout, et ce malgré la gaieté du sujet...
La critique complète sur le Tching's Ciné bien sûr (note : 16/20) :
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