Feo Aladag aimerait que l’on comprenne ou que l’on ait de l’empathie pour tous les protagonistes. De ce point de vue-là, son film n’est pas réussi ! Comment peut-on avoir de l’empathie envers des personnes intolérantes, gouvernées par le poids des traditions ?! Désolé, je n’ai eu que dégoût pour les frères d’Umay et colère pour ses parents. J’ai bien décelé qu’il ne s’agissait pas de religion, et il est vrai, que toutes les religions conjuguées au poids des traditions se valent. Ici, c’est avant tout les traditions séculaires qui pèsent, qui écrasent les communautés. Et ça n’arrange rien avec la religion. Il m’est cependant difficile de dissocier les deux et je me demande jusqu’à quel point la religion n’est pas responsable des traditions. Peu importe, Umay fuit un mari violent et la Turquie pour rejoindre sa famille qui réside en Allemagne. Elle est rejetée parce qu’elle appartient à son mari, à sa belle-famille, à la Turquie et à la tradition. Elle déshonore sa famille en fuyant son mari et sa belle-famille et surtout en vivant seule avec son petit garçon, lequel selon la tradition ou la religion appartient au père ! Peu importe qu’il soit violent ! Umay veut s’émanciper et prendre le contre-pied et de l’éducation donnée par ses parents et des traditions communautaires. On n’accepte pas son indépendance. Elle est l’échec du père, le déshonneur de la famille et la honte sur la communauté. Ce qui me désespère, c’est l’acharnement d’Umay d’être aimée de sa famille. Il y a comme quelque chose de masochiste dans son comportement. Peut-on lui en vouloir ?! Il y a malgré le rejet de sa famille le besoin de laisser un doigt dans la tradition et évidemment le besoin d’être acceptée telle qu’elle est dans sa famille et par-delà sa famille. Mais malheureusement, la famille est elle-même prisonnière des traditions voire de la religion à laquelle elle est rattachée. Pourtant, « Dieu n’a rien à voir là-dedans » comme dirait la patronne d’Umay. Mais quand on est borné, têtu, inféodé aux traditions et à la religion, et surtout quand on veut faire dire ce qu’on veut à Dieu, les oreilles, les yeux et le cœur ne veulent plus répondre devant l’évidence. On peut reprocher au film sa lenteur, je n’ai pas trouvé qu’il soit lent. Le film prend son temps, il suit la tristesse d’Umay, son désespoir, sa solitude ; elle est l’étrangère en Turquie parce qu’elle est allemande, elle est étrangère en Allemagne parce qu’elle est d’origine Turque, étrangère dans sa belle-famille, dans sa famille. On peut reprocher le côté un peu schématique des frères ; seulement, regardons et lisons autour de nous, dans les faits divers ou comme moi dans les cités, le frère se sent investi de l’autorité du père, il en est le relais ; et là peut-on vraiment parler de tradition sans y associer la religion ? Certes, tout peut paraître cliché encore une fois et encore une fois, je répondrai : qui ne vit pas de manière cliché aux yeux de son entourage ? On est toujours le con de quelqu’un. Il ne faut pas se faire d’illusion, nous sommes tous plus ou moins clichés. Ce film est poignant, l’interprétation de Sibel Kekilli est tout simplement saisissante de vérité. Son speech au mariage de sa sœur est déchirant d’émotion. Ce qui me fait enrager dans tout ça c’est qu’il y a des femmes qui continuent à se laisser manipuler par la tradition. Mais quand tout va bien, quand on accepte, personne ne perçoit la manipulation. Et que dire du mariage récupérée de sa sœur, mariage monnayé par les deux familles ! J’ai eu la naïveté de croire que le père en retournant en Turquie, pour rencontrer « un Ancien », allait revenir avec de meilleures intentions. Que l’Ancien lui aurait apporté sagesse, compréhension et compassion. Comme Umay, je me suis raccroché à un espoir. La séquence qui suit dans le salon où le père et les deux frères sont réunis dans un silence qui en dit plus long que des dialogues est éloquente d’horreur. J’ai compris que j’avais oublié la première séquence du film. Les traditions et la religion, quelles qu’elles soient, veulent nous faire croire qu’il y a de l’amour dans leur démarche. En vérité, c’est une peinture satinée qui camoufle une horrible hypocrisie. On aime une image que l’on doit donner aux autres pour être valorisé, respecté, et non pour ce qu’on est tout simplement. Il n’y a pas de place à des sentiments personnels, on doit renvoyer une image surfaite pour satisfaire un entourage, une famille. C’est quoi cet amour téléguidé ? A deux balles !? Désolé, Aladag, je ne peux pas aimer ceux qui veulent du mal à Umay. Même pas les comprendre ! Car j’ai dû mal à accepter qu’au XXIè siècle il y ait encore des hommes qui n’acceptent pas l’émancipation de la femme et n'acceptent pas quelque individu, homme ou femme pour ce qu'il est ou désire être au nom des traditions et de la religion.