Farce tragi-comique insoluble, pépite du genre grostesque tendance romantique. Alex de la Iglesia poursuit sa quête d'humour macabre et tranchant en nous offrant une plongée folle dans l'expérience subconsciente de la psychose d'un refoulé national. Car cette sombre fable d'une troupe de cirque borderline raconte aussi l'auto-destruction d'un pays, l'Espagne, dont la beauté solaire s'est engouffrée dans le tourbillon de l'horreur franquiste. Un scénario implacable, néanmoins attendu sur la fin, d'entrée grotesque (scène des clowns), nous plonge dans les aléas effrayants d'une tragédie sans issue. Les quelques séquences de douce insouciance, toutes issues du rêve, font rapidement place à la désillusion d'un réel terrifiant. En effet, dans un pays en proie à une guerre intestine écrasée par le fascisme, toute échappatoire semble impossible pour les partisans d'une liberté insoumise. Dans ce film aux virages très surréalistes, tout symbole prend corps à la lettre. Deux personnalités écorchées vives, clowns par défaut, incarnent en miroir un désir conflictuel, une passion de nature opposée, entraînés dans une quête de possession du même objet désiré: la femme, l'Espagne. La radicalisation des (res)sentiments respectifs ne peut souffrir aucun partage: l'un a beau dominer d'un machisme éhonté, l'autre a beau défendre le chemin d'une utopie, il suffit d'un pas de trop pour que l'équilibre de la terreur bascule et se brise. Ainsi s'enclenche une rivalité sans merci sur fond de vengeance à dimension historique. Cependant, la tournure démente du récit, d'un grand-guignol excessif clairement assumé, nous verse à la fois dans l'effroi consterné et, par le côté loufoque, dans un sentiment nerveux de drôlerie. Carlos Aceres ne manque pas d'impressionner: une révélation de poids! On n'est pas prêt d'oublier ce personnage de clown-évêque délirant, trash en diable, aux échos de DIVINE watersienne. La figure d'Antonio de la Torre incarne aussi un sale profil, repoussant, qui rappelle aux prémices du fameux VOLVER (Almodovar). Si pas mal de critiques presse ont fait la fine bouche devant un tel plat, aux accents certes peu râgoutant mais jubilatoires, est-ce parce qu'il ne parle pas vraiment aux goûts français? Pourtant, force est de constater l'éclat d'un tel grotesque dans les célèbrissimes BOSSU DE NOTRE-DAME ou dans ALICE AUX PAYS DES MERVEILLES! De même, la BALADA possède sont petit lot de créatures monstrueuses (mais on ne rejoue pas LA MONSTRUEUSE PARADE) et d'événements impromptus aux limites de l'absurde! Qui plus est, l'extravagante séquence de la petite grotte nous renvoie illico au "grotesque", aussi bien étymologiquement que factuellement parlant; nous virevoltons là dans l'incongru, la laideur, le dégoûtant, le bizarre, l'étrange, le fantastique. La métamorphose du clown triste (shocking!) mais aussi l'homme-chien, n'incarne-t-il pas l'altérité même, le risque d'une hybridité à la fertilité condamnée? C'est aussi F. Goya période malade. Puisque l'histoire se déroule dans les années 1970 après deux piqûres de rappel (dont 1937), quoi de plus cohérent que le choix d'un art fantastique farci au genre grotesque des années 1930?! Ces années se caractérisèrent entre autres par une véritable chappe de plomb sur les libertés d'expression, avec un télévision diffusant nombre d'émissions de clowns bien gentillettes pendant qu'on torturait: situation surréaliste. Nulle vulgarité, nulle outrance gratuites dans cette balade à fleur de peau qui vire en course à l'échalotte, un vrai bordel de course-poursuite... Si l'horreur peut flirter avec le gore, on évite la complaisance. Les Espagnols ne peuvent oublier l'entre-déchirement qui les a rongé mais Alex de la Iglesia met en garde contre tout glissement vers une réactivation du cauchemar: il ridiculise l'esprit de vengeance tout comme il dénonce les acharnés du pouvoir. La lutte intestine pour l'exclusivité n'offre aucune sortie. Un petit délire qui fait date.