Avant la sortie de ‘Répulsion’, Polanski était simplement un cinéaste venu du Froid, certes auréolé d’un début de reconnaissance critique avec sa première oeuvre ‘Le couteau dans l’eau’ mais qui ne figurait certainement pas parmi les réalisateurs les plus cotés d’Europe, raison pour laquelle, alors qu’il ramait pour se faire un nom à Londres, on ne lui confia qu’un micro-budget pour tourner le scénario plus ou moins horrifique qu’il avait écrit. Ce sera donc ce second long-métrage, le premier en Occident, le premier en langue anglaise et enfin, le premier de la trilogie officieuse des “appartements� (à laquelle viendront se rajouter par la suite ‘Rosemary’s baby’ et ‘Le locataire’), qui fera de lui un maître du Thriller et lui ouvrira instantanément les portes d’Hollywood. Le même changement de statut soudain attendra d’ailleurs Catherine Deneuve, jusque là tout juste considérée comme une starlette et qui deviendra séance tenante une muse réclamée par les plus Grands. L’actrice française dut cette reconnaissance soudaine au tour de force qu’elle réalise en proposant une interprétation en apparence neutre, lunaire et vide de Carole, qui s’avère être exactement ce qu’il fallait pour faire exister à l’écran cette jeune femme qui ne laisse rien filtrer de ce qu’elle pense, vit et ressent, si ce n’est qu’on perçoit d’instinct que quelque chose ne tourne vraiment pas rond chez elle. Sa “répulsion� pour le sexe et pour la nourriture ? C’est évident, mais il y a autre chose, qu’on ne parviendra jamais à saisir avec clarté, parce que Polanski veut que les causes de la personnalité troublée de Carole restent dans un flou volontaire. Il y parvient d’ailleurs totalement, révélant dès cette époque des talents hitchcockiens pour la mise en scène d’une précision totale, où le moindre élément du décor, le moindre événement, la moindre phrase ont leur importance. Pour figurer la lente désagrégation mentale de Carole, Polanski recourt à des indices rationnels, comme l’insistance maladroite de son soupirant ou le dégoût que lui inspire l’amant de sa soeur, mais aussi des effets symboliques et oniriques, comme les fissures qui lézardent peu à peu les murs de l’appartement, ou le viol imaginaire dont elle croit être victime à répétition. En refusant les effets gratuits pour leur préférer l’observation minutieuse d’une lente plongée dans la folie, ‘Répulsion’ est parvenu à conserver tout son intérêt, sans trop succomber au décalage temporel absolu qui devrait frapper tout film sorti voici plus d’un demi-siècle...même si l’observation des comportements respectifs de l’homme et de la femme semble effectivement sortir d’un autre temps ! ‘Répulsion’ est tout simplement l’acte de naissance - international - d’un grand cinéaste.