Tourné en Iran, The Hunter a pu se soustraire par miracle à la censure (extrêmement virulente) du pays, dont il critique pourtant le régime avec force. Rafi Pitts a profité des troubles causés par les élections de 2009 pour réaliser son projet, qui est ainsi devenu le film le plus controversé du moment dans le pays. Il est utile de rappeler que l’Iran, dont 70 % de la population a moins de 30 ans, est le pays où la peine de mort est la plus appliquée, et où la presse et les réseaux internet sont le plus contrôlés. Le cinéma n’échappe généralement pas à la règle.
Six mois ont été nécessaires à la production du film pour obtenir l'autorisation de tourner en Iran (Rafi Pitts tenait à ce que le film puisse être vu dans son pays). Le bureau de censure a finalement accepté de signer l'autorisation, sur laquelle figuraient les noms du réalisateur, du producteur, du chef opérateur et des acteurs principaux. L'équipe du film n'ayant toutefois pas obtenu d'autorisation de la police, le tournage, qui devait initialement être terminé en 35 jours, a essuyé de nombreux retards, et a finalement duré quatre mois. Les cinéastes ont ainsi dû se débrouiller avec les moyens du bord, et les membres de l'équipe, solidaires du projet, ont accepté d'être payés à la journée.
Ali, le personnage principal du film, devait à l'origine être interprété par un acteur professionnel. Celui-ci est arrivé sur le tournage avec six heures de retard le premier jour, et Rafi Pitts s'est alors vu contraint (par la production) à trouver un acteur de remplacement. Pour éviter de repasser par l'interminable procédure du bureau de censure et perdre à nouveau un temps précieux, le réalisateur, pour la première fois de sa carrière, s'est alors résolu à endosser lui-même le rôle de son personnage principal. "(...) de peur que le film ne se fasse pas et parce que mon nom était déjà sur la liste validée par la censure, je me suis décidé à passer aussi devant la caméra en me disant que, même ratée à cause de ce choix obligé, au moins l'histoire que je voulais raconter existerait", raconte le cinéaste.
Rafi Pitts se souvient du premier jour de tournage de The Hunter, où, en attendant désespérément son acteur, il est finalement rentré dans la peau de son personnage : "Je repense à un plan dans le film, le premier qu'on a tourné, où Ali, mon personnage, rentre chez lui après son travail de nuit, regarde à droite, à gauche, ne trouve personne et va se faire à manger. Là, je cherche en fait mon comédien... pas besoin de jouer autre chose, pas besoin de surjouer ou de me donner d'autre indication d'acteur, juste jouer en quelque sorte la vraie situation de ce premier jour. Mais au départ du plan, j'étais derrière la porte et j'attendais un signal de l'équipe, quand l'équipe attendait de moi un signal... Il n'y avait personne pour dire : "Action !". J'ai fini par dire : "Son ?", "Oui !", "Caméra ?", "Oui !", "Action !", et j'entre."
Rafi Pitts a puisé dans ses propres souvenirs tragiques pour écrire le scénario du film et pour interpréter le personnage d'Ali. Cette démarche, visant à donner au film encore plus d'authenticité, a cependant été douloureuse pour le cinéaste. Pour ce qui est de l'aspect inquiet et troublé d'Ali, le réalisateur-acteur n'a même pas eu besoin de jouer, car les conditions stressantes du tournage et la présence continuelle d'une personne de la censure sur le plateau le mettaient dans un état de tension semblable à celui de son personnage.
Dans un souci de travailler la spontanéité de ses acteurs (par ailleurs non professionnels), ainsi que l'authenticité de leur jeu, Rafi Pitts ne leur a pas fait lire le scénario et ne les a pas fait travailler ensemble avant le tournage. "(...) Ils découvrent leur sort au fur et à mesure (...).C’est ma façon de les aider, en préservant pour eux cette “première fois” qui est aussi celle de leurs premières expressions, de leurs premières réactions", explique le réalisateur, qui a également refusé de regarder les rushes ou de les montrer à ses acteurs : "(...) j’évitais ainsi de vouloir me corriger, de vouloir jouer davantage ou, au contraire, de céder à la vanité. Bon ou mauvais acteur, je préservais ma spontanéité et je ne touchais pas à la part d’imprévu."
La mère de Rafi Pitts, Malek Jahan Khazai (créditée ici sous le nom de Malak Khazai) joue la mère de son personnage dans le film. Elle en est également la directrice artistique.
Si Rafi Pitts laisse une grande part à l'imprévu dans le jeu de ses acteurs et dans le sien, il est en revanche très précis en matière d'écriture du film. Il rédige ainsi en amont un scénario de tournage en déterminant à l'avance où sera placée la caméra, de quel type de plan il s'agira, etc... "Je vis le cinéma comme très proche de l’écriture. Une écriture visuelle. Les points et les virgules, ça existe au cinéma, les phrases aussi même si on appelle cela des séquences", explique-t-il.
Dans The Hunter, la rareté des dialogues entre les personnages est compensée par une grande importance accordée aux sons. "Si le son m’intéresse autant, c’est parce qu’il est un dialogue universel, il se passe de sous-titres. C’est un dialogue direct entre le film et le spectateur. Et un son s’adresse aux spectateurs de tous les pays", explique Rafi Pitts.
La scène dans laquelle Ali abat deux policiers sur l'autoroute de Téhéran a représenté un véritable défi pour l'équipe du film en terme de timing. Il s'agissait également d'un risque énorme vis-à-vis du gouvernement iranien, qui ne tolère en général jamais ce genre d'images. Le bureau de censure n'a d'ailleurs autorisé la scène qu'à une condition : le personnage de Ali devait clairement apparaître à l'écran comme étant devenu fou. "Mais le cinéma est une merveille en ce sens que quoi que tu fasses, la réalité du tournage se retrouve dans l’image", affirme le réalisateur.
Selon Rafi Pitts, la dimension politique de The Hunter a été dans un certain sens indirectement causée par la censure iranienne : "Si l’autorisation de tournage avait été délivrée plus tôt, le film aurait été commencé et terminé plus tôt, fini avant les élections (...) et les manifestations qui ont suivi, avant les émeutes. (...). Au lieu d’être séparés, événements et tournage sont devenus synchrones si bien que, forcément ou naturellement, quelque chose de l’événement passe dans le film (...).
Rafi Pitts se rappelle du tournage de The Hunter comme d'une expérience difficile, mais il ne cache pas son goût du risque et le plaisir qu'il prend à tourner dans l'urgence. Il évoque un souvenir de son enfance où, à l'âge de onze ans, il avait assisté à la violente répression par la police d'une manifestation populaire, découvrant en même temps "l'excitation du danger". "Des années après, j'ai toujours besoin pour tourner et tout donner au film de sentir que des forces jouent contre lui, qu'il est menacé de ne pas se faire ou de ne pas arriver au bout. L'accident, le danger obligent à travailler dans la spontanéité (...)," explique le réalisateur.
Rafi Pitts souhaitait initialement tourner deux films à partir du scénario de The Hunter, l'un à Téhéran et l'autre à Los Angeles, deux villes aux structures relativement similaires, au point que les Iraniens surnomment parfois leur capitale "Téhérangeles". Le but du cinéaste était de tourner les deux films en miroir et de les sortir en salle le même jour. "(...) c’était une façon d’ouvrir un dialogue entre populations, de provoquer chacun par-delà son territoire. Il y aurait eu d’un côté les émeutes sanglantes, de l’autre la mort d’une femme et de son enfant qui traversaient la frontière mexicaine. (...) Mais c’était trop compliqué de faire les deux films", explique le réalisateur.
C'est à Berlin, pendant qu'il présentait le premier montage de son film à ses producteurs allemands, que Rafi Pitts a appris la répression de la révolution verte en Iran, impliquant le maintien au pouvoir de Mahmoud Ahmadinejad. Le cinéaste a alors recueilli des pistes sonores enregistrées par des témoins de l'évènement et les a intégrées à son film.
En plus de sa dénonciation du gouvernement iranien dans The Hunter, Rafi Pitts a également adressé une lettre ouverte au régime de Mahmoud Ahmadinejad. Il a ainsi questionné ce dernier sur la situation du cinéma iranien en général, et sur le sort de ses compatriotes Jafar Panahi et Mohammad Rasoulof (tous deux emprisonnés par le gouvernement pour avoir tourné des films que ce dernier désapprouvait). Le réalisateur, désormais dans l'impossibilité de tourner en Iran, souhaite ainsi dénoncer devant les autres pays le sort que l'on réserve à la liberté d'expression dans le sien.
La date de sortie de The Hunter correspond au 32ème anniversaire de la révolution iranienne.
The Hunter a été présenté en Compétition du Festival International du Film de Berlin en 2010.
The Hunter est le cinquième long métrage réalisé par Rafi Pitts, à qui l'on doit notamment Sanam (2000) ou encore C'est l'hiver (2006).