Faute de moyens, probablement d’autorisations l’obligeant à filmer de manière clandestine, Rafi Pitts, qui endosse lui-même le rôle principal, pratique l’art de l’ellipse qui l’amène à tisser un fil ténu, presque invisible, entre les différentes scènes. La progression tant temporelle qu’événementielle fait fi de toute explication superflue, laissant au spectateur le soin de remplir les blancs à sa guise. Loin d’être un handicap, ce choix scénaristique qui rejaillit dès lors sur les options de la mise en scène devient une force mise à l’entier service d’un film atypique, davantage singulier (et captivant) dans les formes qu’il déploie que dans sa simple trame narrative. Divisé en deux parties, l’une citadine au cœur d’un Téhéran bruyant et pollué, l’autre dans une forêt en partie calcinée, plongée dans un brouillard fantasmagorique, The Hunter, après avoir mis en situation son protagoniste, le confronte ensuite à une course, dont l’enjeu va aller bien au-delà de son forfait. Le réalisateur réussit mieux le volet urbain en exploitant toutes les ressources de cadrage et de bruitage que peut offrir une capitale tumultueuse que l’escapade au milieu d’une forêt détrempée. En effet, le jaillissement de mots, en fait la confrontation verbale, presque comique, entre les deux policiers qui pourchassent Ali, toujours mutique et embrassant la joute d’un regard las et étranger, rompt l’atmosphère mystérieuse, exempte de la moindre tentative d’explicitation, qui imprégnait jusqu’alors le film. Le changement de registre, de l’errance nocturne et existentielle, sertie par l’écheveau anxiogène des routes, des ponts et des tunnels, à la fuite plus banale entre un meurtrier et ses poursuivants, déstabilise l’équilibre, laissant l’impression que le film ambitieux ne tient sans doute pas toutes ses promesses.
Au travers d’une œuvre stylisée, Rafi Pitts s’approprie les codes d’un polar minimaliste qui ne fait cependant pas l’impasse sur le contexte politique du pays miné par la corruption. Désespéré et grave dans l’injustice et la douleur qui le sous-tendent en permanence, The Hunter n’a a contrario rien de désespérant, sauvé et transcendé par la beauté et la plasticité de ses plans.