Ce premier film de Roman Polanski, tourné en noir et blanc, en polonais et avec des moyens réduits, a projeté le cinéaste sur la scène internationale et mérite d'être (re)découvert. En effet, outre les nombreuses qualités intrinsèques à cette oeuvre de jeunesse, on y trouve déjà esquissés bon nombre des thèmes de prédilection de Polanski, qu'il questionnera toute sa carrière : l'inéluctable malaise entre les êtres et la violence des rapports entre individus, la manipulation, l'enfermement et le huis-clôt étouffant, les rapports de soumission et de domination, voir de perversion.
Tourné avec peu de moyens, le film est un véritable tour de force sur le plan formel, tant il fourmille d'idées de mise en scène. La manière de filmer ce lieu quasi-unique qu'est le petit bateau est inventive et jamais redondante, un découpage savant alterne les points de vue, des plans séquence travaillés installent la tension et la bande son jazzy apporte un côté bancal et inquiétant à l'ensemble. Les dialogues sont savoureux et se couplent à des idées scénaristiques parfois étonnantes mais toujours intelligentes : le
bateau bloqué dans les hauts fonds
, la scène presque triviale du
repas et de la soupe renversée
,
la partie de mikados qui opère comme une redistribution des cartes et stimule les rapports de force des protagonistes, le baiser adultérin interropu par la sonnerie du réveil, le fameux couteau "dans l'eau"
... Le trio d'acteur est tout à fait convainquant, tant le mari aux faux airs de héros Hitchkockien que la femme tout en sensualité dissimulée et le jeune homme, tantôt ange charmeur, tantôt démon manipulateur.
Le jeune homme, intrus aux airs candides, se révèlera bientôt inquiétant, sournois, menteur, voir dangereux. Ses passes d'armes avec le mari seront nombreuses, allant de petites bravades et refus d'obéir aux ordres à des intimidations plus importantes, des maladresses calculées et des incidents pas si innocents que ça. Mais le plus souvent, faisant preuve d'habileté et arborant ses airs naïfs, il parviendra à désamorcer un peu les situations. Il entrera aussi dans un jeu de séduction latente avec la femme :
au premier regard échangé lors de la scène du stop suivront l'aide pour le port des sacs, les regads en biais vers la femme en maillot de bain puis nue, les chaussures et ceinture posées en gages dans l'intimité de la cabine du bateau et les chansons et poèmes d'amour récités en échange de ceux-ci, les échanges sur le pont au petit matin quand le mari dort encore, et enfin le baiser échangé
. Il est amusant de mettre en parallèle de ce jeu l'évolution physique de la femme, d'abord coiffée de lanière stricte en arborant de ridicules lunettes, puis de plus en plus naturelle et donc attirante au fur et à mesure de leur rapprochement.
Dans le sens contraire, le propriétaire de bateau prend le rôle du capitaine comme un jeu dans un premier temps, jeu qui dévie de plus en plus vers une affirmation de sa toute puissance sans réelle raison valable. Par jalousie envers la jeunesse de son invité ? Par peur de paraître faible aux yeux de sa femme ? Par pur plaisir de donner des ordres inutiles et d'humilier le jeune homme ? La deuxième raison se verra mise en valeur vers la fin du film,
quand la femme traite son mari d'assassin, de lâche, de faible et de jaloux
. La
noyade simulée du jeune homme
va donc être le révélateur des dissensions et du malaise régnant dans le couple.
Une hiérarchie va se créer entre le mari et le jeune homme, calquée sur celle des marins de métier, faisant échos à la différence de classe sociale évidente des protagonistes qui aura créé une tension durant tout le récit. Cet écart social sera confirmé par la bouche même du jeune home,
qui moquera le train de vie aisé du couple et dévoilera sa situation précaire
. Cependant, quand la femme lui répondra qu'elle et son mari viennent aussi du même monde de pauvreté et de difficultés, on comprendra que ce qui effrayait et attirait à la fois le mari, ce qui le rendait furieux plus que tout, c'était de voir dans ce jeune homme faible, manipulateur et sournois, l'image de son popre passé qu'il cherche à renier. Cet effet de double se trouvera renforcé quand le jeune homme
prendra littéralement la place du mari sur le bateau, enfilant son peignoir, restant seul avec sa femme pour finir par l'embrasser
.
Au final,
l'intrus ayant repris sa route, le couple retrouvera sa position du début. Mais cette fois ci le temps sera à la pluie, l'épouse affirmée et moqueuse, le mari perdu et maussade, et le cuple sur un bien mauvaise pente.