Difficile de parler de "Simon Werner" sans lever une partie de son mystère qui fait tout son charme. Pour ceux qui voudraient garder la surprise, disons que Fabrice Gobert signe un polar original, que l'on pourrait presque qualifier d'anti-polar. Il mélange les genres en disséquant au passage le monde très codifié des lycéens, mais où les figures caricaturales des teen-movies sont ici bien plus complexes et réalistes. Cette chronique de l'adolescence, à la fois intime et intrigante, quelques fois flippante, est un bel ovni à découvrir.
Pour ceux qui voudraient creuser un peu, rentrons dans le détail. Fabrice Gobert dépeint le monde du lycée de manière assez réaliste. Il place son intrigue dans les années 90 (par ailleurs très bien représentées), mais cet univers a finalement très peu évolué depuis (les portables sont arrivés et les i-pod ont remplacés les bons vieux baladeurs), les préoccupations des adolescents étant restées les mêmes. Gobert emprunte au teen-movie ses personnages stéréotypés mais les rend plus complexes, et les filme à la manière d'un Gus Van Sant. On ne peut s'empêcher de penser à "Elephant" quand la caméra suit les personnages à travers les couloirs du lycée. Ainsi, Gobert a su reprendre les thèmes chers au genre (amour, sexe, difficulté à trouver sa place, qu'en dira-t-on et autres rumeurs, ...) mais en les traitant de manière réaliste et sincère, tout en restant plus conventionnel que Gus Van Sant, cinématographiquement parlant.
Fabrice Gobert a choisi comme fil rouge à sa chronique de l'adolescence, le polar. (Pour analyser cet aspect du film, il est nécessaire de faire quelques révélations, ceux qui ne sont pas avides de spoiler sont donc invités à sauter ce paragraphe.) On peut dire que Gobert utilise le polar d'une manière plutôt originale, car le dénouement tient plus de la non-révélation que de la révélation. Gobert traite encore une fois le sujet de la même manière que Gus Van Sant dans "Elephant". Pour vraiment comprendre un événement, un seul point de vu ne suffit pas, une vision d'ensemble est nécessaire. Ainsi, on commence par vivre la disparition du fameux Simon par les yeux d'un lycéen lambda, pas vraiment proche de la victime. Devant l'absence d'explication, quelques coïncidences et des rumeurs, les raccourcis sont faciles et l'imagination va bon train. Si certains fantasmes sont carrément exagérés, certains sortent du lot et les protagonistes embarquent le spectateur qui se laisse duper. Le deuxième point de vue est celui de l'(ex-)petite amie de la victime, beaucoup plus proche, donc plus impliquée. Sa vision lève le voile sur très peu de choses, et ne fait finalement qu'amplifier le mystère, en ajoutant une dimension émotionnelle au fait divers. Ce n'est qu'au troisième point de vue, que beaucoup de mystères se dévoilent, mais embarqué dans nos fantasme, on imagine toujours quelque chose de plus grand. Ce n'est que le point de vue du-dit Simon qui nous dévoilera la simplicité de la révélation. Passé l'instant de déception, on comprend toute la démarche de Gobert. Se méfier des rumeurs, des raccourcis et de nos fantasmes (d'ados ou de spectateurs gavés aux thrillers les plus complexes). Si on est bon joueur, on acceptera facilement la duperie. D'autant que le réalisateur nous avait prévenu : "La réalité est parfois décevante" dixit l'un des élèves.
Visuellement le film est également très réussi, notamment par la superbe photo d'Agnès Godard. Les plans sont soignés et réfléchis, et savent être le prolongement des émotions des personnages. Côté casting, la tribu des lycées est tout à fait convaincante, et composée de quelques jeunes talents français. Parmi eux, Ana (fille de) Girardot se révèle, Julien (Nouvelle Star) Pelissier confirme qu'il a un certain talent, après son petit rôle dans "Bus Palladium", Laurent Delbecque éveille notre curiosité, et Arthur Mazet est devenu un acteur mature depuis "Nos jours heureux".
"Simon Werner a disparu...", un nouveau réalisateur talentueux semble lui être apparu dans le paysage cinématographique français. L'avenir nous dira si on a vu juste ou si tout ça n'est que n'est que le fruit de notre imagination...