Le début du siècle aura donc été l'occasion de voir Steven Spielberg sous un jour nouveau ( et meilleur ) : celui des considérations adultes, de l'abandon d'une certaine mièvrerie qui cependant ne l'aura pas définitivement quitté, apparaissant ça et là dans les films de la décennie précédente. Peut-être un peu trop nostalgique d'une époque où il faisait des films pour les gens de 7 à 77 ans ( les gens de 77 ans ayant gardé l'âme de leurs sept ans ), Spielberg replonge la tête la première dans la niaiserie et en fait la matière principale de Cheval de Guerre.
Dès les premières minutes, on croit rêver. La musique est pompeuse ( et le restera tout au long des 2H26 ), et il y a une exagération globale, une tendance au mélodrame d'où aucune subtilité ne ressort ( car oui, le mélo peut être subtil, il n'y a qu'à voir les films de Douglas Sirk ). Au bout d'une demi-heure, empli d'une consternation d'autant plus gênante qu'elle est provoquée par un maître du cinéma actuel, on se dit qu'en réalité tout cela est calculé, que le début est volontairement grossier parce que Spielberg veut dire quelque chose de sa carrière, et que par conséquent, la suite du film sera bien plus sombre et mature, se calquant ainsi sur la filmographie du cinéaste. Une heure après, on se rend que le désespoir fait beaucoup de mal à l'imagination, qu'on a fantasmé par crainte, mais que rien de ce qu'on avait pensé ne s'est passé. Le film est donc constamment englué dans les bons sentiments - ce qui n'est en soi pas gênant - servis avec une grandiloquence qui empêche l'émotion. Il n'y a dans Cheval de Guerre aucune âme, aucune noblesse, et ça n'est pas dû au caractère spécifique du personnage principal ( voir King Kong et son singe humain ).
Le dernier Spielberg peine à émouvoir parce qu'il s'inscrit trop, et uniquement, dans le registre du spectaculaire : qu'il s'agisse de filmer une bataille de tranchées ou un paysage, il le fait avec la même gloutonnerie emphatique. L'échelle des valeurs n'est pas à l'ordre du jour dans Cheval de Guerre. On y sent ce qui plaira à certains, cet aspect magique et propice au rêve du cinéma. Mais en réalité, Spielberg ne magnifie pas le septième art puisqu'il l'uniformise, en rendant moindre la gamme des possibles. Il n'y a en fait qu'une seule séquence à sauver : celle où, le cheval pris au piège des barbelés, deux soldats ennemis font une trêve pour lui venir en aide. La séquence est spielbergienne et trouve son écho le plus récent dans Munich, où Israëliens et Palestiniens se retrouvaient par hasard dans une même pièce mais décidaient de ne pas s'entretuer. Ici, on sent pour la première fois une émotion jaillir. Le cheval, seul non-humain du film, permet un rapprochement de paix, dans une scène tellement belle qu'on se demande ce qu'elle fait dans un film si fabriqué, trop gentil pour paraître vrai. Cette scène résume bien le fond du film, qui montre la prédominance du point de vue de l'animal dans l'histoire, et le fait que pour lui les êtres humains sont " égaux ", qu'il s'agisse d'une petite fille ou d'un soldat allemand. Au fond, l'intention de Spielberg est louable et on lui pardonne sa naïveté. Mais pas les procédés mis en place, indignes de ses talents d'auteur.