Steven Spielberg est décidément capable de tout. Quelques mois seulement après avoir sorti un « Tintin » tout numérique spectaculaire en trois dimensions dans lequel il explorait le champ du cinéma de demain, il effectue un vrai virage à 180 degrés en nous offrant un film à l’ancienne tout aussi marquant dans sa filmographie, déjà longue et bien remplie.
À y regarder de plus près, le phénomène n’est pas si surprenant. Il avait en effet déjà réussi l’exploit en 1993 de sortir coup sur coup deux classiques diamétralement opposés :« Jurassic Park » avec ses dinos de synthèse et son chef d’oeuvre en noir et blanc sur la Shoah, « La Liste de Shindler ».
Après un peu plus de 10 ans marqués par des films futuristes à gros budget utilisant les images de synthèse à gogo (« AI », « Minority Report », « La Guerre des Mondes »), « Cheval de guerre » apparaît comme un contre-pied à l’évolution de sa carrière et un retour aux sources pour le réalisateur. Spielberg revient ici à ses fondamentaux avec un mélo « old school » qu’il jure ne pas avoir retouchée numériquement. On y retrouve tout ce qui fait la force de son cinéma : maîtrise incontestable du storytelling avec une histoire universelle et puissante et ses thèmes fétiches que sont ceux de l’amitié, de la rébellion, du passage à l’âge adulte, de la guerre… Il est en cela, comme le disent les exégètes de l’oeuvre spielbergienne, un « film somme » qui cite et résume à lui seul l’ensemble de son oeuvre. Une sorte de mix entre « E.T. » et « Il faut sauver le soldat Ryan », pour faire court.
« Cheval de Guerre » est un conte adapté d’un roman jeunesse de Michael Morpurgo, qui tout comme « E.T. » raconte une histoire d’amitié extra-ordinaire. En l’occurrence celle d’un adolescent entêté, Albert (Jeremy Irvine) et de son cheval, Joey, que son père se retrouve contraint de vendre à l’armée en 1914 pour rembourser ses dettes. Une histoire dont la naïveté risque d’en agacer plus d’un qui critiqueront un excès de guimauve et de sentimentalisme, mais qui est après tout totalement « spielbergienne » et finit par emporter l’adhésion pour peu qu’on la regarde avec des yeux d’enfant.
C’est aussi une fresque épique qui réussit le pari d’évoquer la grande guerre en adoptant du début à la fin le point de vue de l’étalon (et non de son jeune premier maître), des contrées vertes du Devon aux champs de bataille de la Somme. Un parti pris audacieux puisque le cheval n’est pas connu pour être le plus expressif des animaux, mais pourtant réussi tant le réalisateur parvient à faire de Joey un véritable personnage qui suscite de vraies émotions.
On suit alors le chemin initiatique – voire chemin de croix tant il est assimilé à une figure christique – de ce cheval qui passe ainsi de maître en maître en faisant l’apprentissage de l’amitié, du labeur, de la guerre, de la bienveillance ou de la cruauté des hommes et de la mort de ses camarades. Un parcours qui donne également l’occasion à Spielberg de nous en mettre plein la vue : notamment pendant une scène de combat filmée au ras du sol ou dans une séquence magistrale et hallucinante où Joey s’enfuit, traverse une tranchée, pour se retrouver entravé dans des barbelés.
À travers cette épopée, il nous rappelle qu’il est un grand metteur en scène en signant des plans d’une grande inventivité, de véritables toiles de maître jouant superbement avec la lumière de Janusz Kaminski, la musique orchestrale de son compositeur fétiche John Williams, et les grands espaces. À ce titre, la dernière scène où Spielberg cite à la fois l’épilogue de ses « Aventuriers de l’arche perdue » et « Autant en emporte le vent », nous offre un sublime tableau en couleurs rouge et ocre et ombres chinoises qui devrait rester dans les mémoires. Un vibrant hommage aux grandes heures du Technicolor.
Tout n’est néanmoins pas réussi dans le film : certaines scènes sont de trop (la partie française avec Niels Arestrup notamment) et donnent parfois dans le cliché. On aimerait aussi que les Allemands parlent allemand et les Français français ce qui rendrait l’histoire plus crédible… Malgré ces quelques défauts, « Cheval de guerre » reste une belle et grande fresque historique au fort pouvoir évocateur, un conte à la fois intimiste et spectaculaire, étonnant et émouvant. Bref, Spielberg démontre une fois d’une plus qu’il fait partie des plus grands réalisateurs d’Hollywood, et livre un classique de plus à son public.