Le Guépard est vraiment le genre de film qu'on regarde sans chercher un gros divertissement. Car, il faut bien le reconnaître, le rythme n'est pas des plus stimulants. Bon autant dire que si l'on a soif d'action (et quand je parle d'action je ne parle même pas au sens cliché du terme, mais tout simplement de film à rebondissements, de film où c'est la fluidité du scénario qui fait tout) on frappe ici à la mauvaise porte. Oui, le Guépard est lent. Pas lent comme peut l'être un film contemplatif à la Jarmusch par exemple, mais lent parce que Visconti a choisi de construire son film autour de quelques scènes majeures en les développant énormément (exemple : la scène du bal). Et si le rythme du film est lent, le scénario est loin d'être vide ! Il s'y passe (presque paradoxalement) énormément de choses (bouleversement dans l'histoire de la Sicile qui assiste à la remise en question du règne de la noblesse, mise en place de "bureaux de votes", révolutions...) car le contexte du film est chargé. Mais en fait ce qui, pour moi, fait la beauté du film, c'est la focalisation que fait Visconti sur la psychologie de Fabrizio Corbera (interpreté par un Burt Lancaster magistral...). Je n'ai pas lu le livre, mais j'ai cru comprendre qu'il s'y passait beaucoup plus de choses. Je pense qu'il ne faut donc pas chercher à voir en ce film une adaptation fidèle du livre mais plutôt une interprétation, un choix. Ici Visconti a décidé de se focaliser sur certains aspects du livre pour pouvoir en retranscrire la densité. Et c'est un pari qui me semble gagné (et donnerait presque envie à l'affreuse flemmarde que je suis de lire le bouquin, c'est pour dire). Le guépard pour moi, c'est un magnifique portrait de l'homme dans toutes ses contradictions, dans sa dualité. Et à travers le prince de Salina, on a l'incarnation de toute cette problématique existentielle. Assistant à une nouvelle ère historique (déclin de l'aristocratie et arrivée d'une classe politisée), il se retrouve le cul entre deux chaises (car il ne rejette pas ces avancées puisque par exemple, il cautionne, et encourage même, le mariage de Tancredi et d'Angelica qui représente la nouvelle classe puissante). Il se retrouve aussi à un âge bâtard, il projette l'avenir à travers son neveu et ne se voit pas vieillir, alors qu'il n'est pourtant pas à un âge hyper avancé. Comme si, avec ce bouleversement historique, il n'avait finalement plus sa place. Visconti nous montre avec un grand talent, tout au long du Guépard, cette espèce de résignation qui caractérise le personnage du prince, une sorte d'abnégation qui fait qu'il passe son temps à intermedier les choses mais que son personnage semble presque déjà mort. La scène du bal, où le prince éprouve une immense nostalgie pour sa jeunesse, est magnifique. Elle a beau être très longue, tout a une symbolique et un sens, et du coup on ne s'y ennuie jamais. Et la fin du film, qui sous-entend la mort de Salina, est d'une très belle gravité. Voilà, c'est vraiment ce personnage qui m'a marquée dans le film, je le trouve extrêmement abouti, et Burt Lancaster est incroyablement habité par son rôle. Tout le reste du film est plaisant aussi : l'esthétique est parfaite, les paysages sont à couper le souffle, les dialogues sont percutants (le passage où Reggiani raconte au prince, posé au pied d'un arbre, l'histoire de la famille Calogero est passionnant, ou encore le magnifique passage où le prince parle de la Sicile et des Siciliens à Chevaley), les scènes de danse sont enchanteresses, et Alain Delon et Claudia Cardinale sont probablement les acteurs les plus à même de représenter cette jeunesse belle, ambitieuse et à qui tout semble promis. Bref, en somme le Guépard n'est pas un film que je regarderais tous les jours, l'histoire ne me passionne pas spécialement, mais il est d'une qualité incroyable si l'on accepte de s'y plonger, surtout dans le traitement de ses personnages, extrêmement minutieux et réussi.