Il nous revient dans une version restaurée, avec des couleurs splendides, comme au premier jour. Quel chef d'oeuvre! Trois heures, sans aucune interruption, à rester bouche bée devant la beauté de ce qui se passe à l'écran. Et ça vaut pour les acteurs comme pour le cadre dans lequel ils évoluent. Burt Lancaster, presque intimidant de charisme, tour à tour hautain, bourru, fragile, drôle, séducteur, mélancolique... Alain Delon, aussi léger que Lancaster est pesant, virevoltant, cynique, tranchant comme la lame d'un poignard. Claudia Cardinale, à la fois candide et perverse, belle comme jamais. Les "seconds rôles" (on n'ose le dire): Serge Reggiani, qui renoue brillamment avec ses racines italiennes, Paolo Stoppa qui promène son regard d'aigle plébéien sur les fastes de l'aristocratie, Romolo Valli plus vrai que nature en père jésuite, Lola Braccini... Et, personnage omniprésent, la Sicile, ses villages, ses églises, ses montagnes, ses palais, ses beautés et ses misères. La Sicile magnifiée comme jamais par la caméra souveraine de Luchino Visconti. Les extérieurs grandioses, les scènes d'intimité familiale de la famille Salina, belles comme des Velazquez, les ruelles de Palerme et de Donnafugata, la longue, étourdissante et (justement) célèbre scène du bal... Sommet de l'art: Visconti n'est jamais prisonnier de la beauté qu'il filme. Sa mise en scène est fluide, légère sans aucune facilité, réfléchie sans jamais être pesante - parfaite, tout simplement. On pourrait parler aussi du formidable scénario adapté du roman de Lampedusa, de cette acceptation sereine et résignée du temps qui passe et corrompt inexorablement l'univers du prince Salina... et de Visconti. "Génie" est un mot aujourd'hui galvaudé. Dans le cas du "Guépard", il prend tout son sens.