Au-delà de la somptueuse reconstitution et du souci maladif du détail du Maestro pour recréer une époque révolue, tout en la maintenant vivante à l’écran, Visconti livre avant tout une réflexion sur l’âge et le temps qui passe.
La notion du temps qui s’effrite est évoquée par le prince Salina (Burt LANCASTER) dès le début du film lorsqu’il parle des fréquentations de son neveu Tancrède (Alain DELON) au père Pirrone (Romolo VALLI). Il y a ensuite une scène incroyablement symbolique lorsque les Salina arrivent à Donnafugata et assistent à la messe. Ils sont tous recouverts de la poussière du voyage et paraissent figés, pour ne pas dire momifiés, en assistant à l’office religieux, à travers les fumées d’encens et paraissent d’un autre temps, au contraire du peuple, qui paraît vivant, bien que recueilli, dans la nef.
Le bal est un exercice de mise en scène dont la maîtrise est exemplaire. Outre sa virtuosité technique et ses mouvements de caméra souples et amples, elle symbolise le temps qui passe et l’âge. Au cours de cette longue séquence, les scènes se succèdent pour dépeindre la vie mondaine de l’aristocratie italienne, les aléas de ces temps troublés par la révolution, mais surtout pour décrire la fin d’un monde. Et ce monde est symbolisé par le prince Salina et son opposition involontaire à la jeunesse de Tancrède. Pour la première fois du film, Burt LANCASTER paraît vieux, ou du moins, avoir son âge. Il a cinquante ans, ce qui au XIXème siècle est le crépuscule d’une existence. Lui qui paraissait si vigoureux au début de l’histoire paraît usé, presque fantomatique. Il traverse les pièces d’un air absent, est obligé de s’arrêter à plusieurs reprises, autant à cause de la chaleur que du monde et l’agitation qui l’entourent. Deus scènes en particulier mettent cet état de fait en exergue. Tancrède et Angelica (Claudia CARDINALE) sont outrageusement beaux et s’embrassent dans une pièce et sont rejoints par une farandole vive à laquelle ils se mêlent de façon insouciante. C’est la vie qui les emporte innocemment. La scène suivant montre Salina, dans un cabinet de toilette, se regardant dans une glace et pleurant sans raison apparente. Il est seul, dépassé et déplace péniblement pour quitter cette pièce et retrouver une agitation relative, liée au petit jour. Il a passé la nuit et peut quitter la fête.
Enfin, la toute dernière scène est tout aussi symbolique. Elle nous montre le prince seul dans la rue, rentrant chez lui. Il s’agenouille devant un prêtre se rendant dans une maison pour y donner les derniers sacrements. Et dans cet environnement en ruines où les maisons s’écroulent presque, il disparait dans une ruelle sombre et disparait totalement à l’écran. Cette scène est à mettre en parallèle avec celle au début du film où il marche dans une ruelle, éclairée cette fois, pour rejoindre une prostituée qui lui permettra de donner libre cours à sa vigueur. Exercice dont on l’imagine incapable à la fin de l’histoire tant la mort est proche et son monde sur le point de s’écrouler.