Je craignais, après avoir lu certaines critiques, d'avoir affaire à un film à la fois grandiloquent, confus et démonstratif. Mais ce que j'ai vu, c'est un film grandiose qui m'a tenu en haleine d'un bout à l'autre, malgré quelques longueurs, peut-être, vers la fin. Comment ne pas se passionner pour un tel récit, même s'il comporte des ellipses qui déroutent quelque peu? Mais qu'importe! La relation ambiguë, étrange, qu'entretiennent Freddy et Lancaster Dodd m'a véritablement passionné en même temps qu'elle m'a laissé avec plein de questions sans réponses (et c'est tant mieux!).
Qui est donc ce Freddy, ce vétéran de la Seconde Guerre mondiale, qui reste habité par des pulsions de violence incontrôlées et qui s'attache cependant à un gourou? Qui est Lancaster Dodd, le Maître, le fondateur d'un mouvement que l'on voit virer à la secte, maître certes mais néanmoins dépendant et de son disciple et de son épouse (car c'est elle qui, parfois, tire les ficelles)? Maître et disciple incarnés par des acteurs impressionnants: Philip Seymour Hoffmann et Joaquin Phoenix.
Pour créer le personnage de Lancaster Dodd, le gourou, le réalisateur s'est inspiré du fondateur de la scientologie, L. Ron Hubbard. Mais bien sûr, Paul Thomas Anderson s'est bien gardé de faire un film à thèse. "The Master" n'est une charge ni contre la scientologie ni contre son fondateur, il est mieux que cela, il montre comment un homme aux théories fumeuses, qui écrit des livres qui ne valent pas un clou, parvient cependant par d'habiles méthodes de suggestion à fasciner des esprits crédules et à faire des disciples. Et même ceux qui ne sont pas crédules et qui ont deviné qu'ils ont affaire à un expert en fumisterie, même Freddy, qui n'est pas dupe, défend celui qu'il considère comme un maître. De ce point de vue, il me semble que le film est sans ambigüité et donne à voir le gourou et la secte pour ce qu'ils sont.
Certes, voilà un film complexe, qui ne conviendra pas à ceux qui vont au cinéma pour paresser devant l'écran. Les autres n'auront qu'une idée: revoir ce film et le revoir encore, car ils ne sont pas près d'en épuiser toute la signification.