Un film réalisé par un Indien aux Etats-Unis, avec des interprètes indiens dont l'acteur musulman Shah Ruck Khan, pour traiter de l'islamophobie post-11 septembre, voilà un projet qui pouvait sembler intéressant. Dans le désert des sorties d'après Cannes (je ne suis attiré ni par la énième adaptation d'un jeu vidéo pour ados attardés, même filmée par Mike Newell, ni par les ébats du couple Béart-Cohen), pourquoi ne pas aller voir ce qui était présenté comme le haut de gamme de la production de Mumbai.
2 h 40 plus tard, c'est le sentiment de m'être fait escroquer qui dominait, plus encore que l'ennui devant une fin qui ne finissait pas de finir. "My Name is Khan" n'est un film bollywoodien que par la langue hindi, les acteurs principaux et l'incroyable naïveté du scénario. Point de chorégraphies gigantesques et chamarrées, ni même de chansons sirupeuses : la seule fois où Mandira commence à chanter la version hindie de "We shall overcome", Rizwan lui demande à juste titre de se taire, tant elle chante faux.
Très peu indien, le film se présente donc comme remix maladroit de "Rain Man", pour le personnage d'autiste joué sans nuance par Shah Ruck Khan, et de "Forrest Gump", pour le trip rédempteur à travers les Etats-Unis, cette fois pour aller dire au Président des Etats-Unis "My name is Khan, and I'm not a terrorist". Il va chercher du côté du mélo, sans jamais effleurer la stylisation d'un Douglas Sirk. Bien au contraire, il rédige le scénario à la serpe, opposant le monde à la Benetton de la période heureuse d'avant le 11 septembre, à la chasse aux sorcière de la seconde partie où les sympathiques voisins se transforment en gremlins assoiffés de lynchage.
La mère de ce pauvre Rizwan lui a légué une morale bien encombrante : "Il n'y a que deux sortes de gens sur Terre, les Bons et les Méchants" ; celle de Forrest l'avait mieux préparé à la vie avec sa métaphore sur la boîte de chocolat. Malheureusement, ce manichéisme qui servit aussi de doctrine Georges W. a également inspiré les scénaristes, avec des situations ayant largement franchi la frontière du ridicule, comme ce mini Katrina s'abattant sur un bled de Géorgie, et où des cohortes de journalistes et de bénévoles du Croissant Rouge arrivent avant le moindre fonctionnaire américain.
Même absence d'originalité dans la réalisation : abus de ralentis, présence redondante systématique de la musique, surjeu des acteurs. Les escapades américaines de réalisateurs du monde entier qui ne perdent pas leur âme sont suffisamment nombreuses ("Blueberry Night", "Goodbye Solo" ou "La Princesse du Nebraska", pour ne citer qu'eux) pour montrer qu'il existait une autre voie que de singer le cinéma américain dans ce qu'il a de plus mauvais.
Mes remarques sur ce film, ajoutées au constat que je faisais dans ma critique de "Dans ses Yeux", m'évoque une interview dans "Mondovino", où un expert expliquait que les processus de vinification s'était tellement standardisés qu'on en arrivait à une production uniformisée sur toute la planète, ce qui favorisait fatalement les productions latifundiaires de l'hémisphère Sud au détriment des vins de terroir qui perdaient leurs âmes dans les refroidisseurs et les thermovinificateurs. J'ai un peu la même impression aujourd'hui en voyant des films venus d'Europe, d'Asie ou d'Amérique Latine qui cherchent à faire plus hollywoodien que le modèle, mais en moins bien, laissant paradoxalement la créativité au cinéma indépendant américain.
Critiques Clunysiennes
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