Forcément, le ballet d'essai de la jeune Ami Canaan Mann a sans doute puisé au travers de son auteur dans le cinéma de son père Michael, dont on sent ici l'influence. Mais pas tant que ça, ceci dit, tant le désir de se détacher de l'aura paternelle semble transparaître à travers ce Killing Fields. Il est donc dommage de voir la réalisatrice débutante chercher à s'émanciper pour finalement retomber dans le giron d'un autre cinéaste de renom, à savoir David Fincher, dont cette première réalisation rappelle certains de ses classiques (Zodiac, Se7en), le génie en moins. Cet ascendant se manifeste surtout et avant tout par le désir manifeste d'instaurer une ambiance oppressante autour de cette histoire classique de meurtres en séries et de flics aux personnalités opposées. Le temps de quelques scènes, j'ai vraiment cru que ça allait prendre, Mann variant en effet les plans erratiques et d'autres plus lourds, collés au sol, pour confronter le sauvage de ce bayou texan aux déplacements des personnages qui s'y empêtrent. Mais tout retombe trop vite, la mise en scène switchant entre idées appréciables et vaine prétention. Jamais laids, souvent beaux, les cadrages sont quand même loin d'être tous signifiants et on est donc à des années-lumière de la prégnance d'une atmosphère à la Fincher. Résultat, on peine à vraiment s'immerger dans cette intrigue paresseuse, dont l'indolence éloigne un peu plus le spectateur d'une vraie immersion. Si la lenteur n'a rien de répréhensible en elle-même, pouvant d'ailleurs permettre une meilleure mise en tension ou augmenter la lourdeur du cadre, elle se doit quand même d'être compensée par un vrai apport de l'image et de ce qu'elle représente, ce qu'Ami Canaan Mann n'a pas encore l'étoffe pour garantir. Je me suis donc longtemps quelque peu ennuyé, faute aussi d'un traitement en profondeur des personnages. Si Worthington tient bien son personnage de flic sanguin qui connaît, hait et redoute la violence de son environnement, il peine quand même à se détacher des stéréotypes. Au contraire, le rôle d'enquêteur cérébral et tourmenté d'un Jeffrey Dean Morgan qui finira par perdre pied dans ce milieu hostile et nouveau, est plus original mais manque d'approfondissement. Quant à Jessica Chastain et Chloë Grace Moretz, deux actrices qui doivent sans doute truster mon top 5 du moment, elles connaissent aussi des sorts différents. La première ne fait en effet malheureusement que jouer les utilités, alors que la seconde s'impose avec talent dans son rôle de jeune laissée pour compte qui déclenchera involontairement le dénouement de l'enquête. Une conclusion bien écrite, qui confirme le récit dans son appréciable tendance floue et elliptique, qui permet à mon sens de se concentrer sur certains enjeux prioritaires et accorder au film ce qu'il perdait ailleurs en intensité. Un déballage final plus convaincant que sa préparation, qui m'a permis de jeter un regard d'ensemble sur un scénario qu'en définitive, je trouve solidement ficelé et bénéficiant d'appuis narratifs discrets mais originaux. D'autant qu'on sent une certaine intelligence dans la façon d'utiliser subrepticement les codes du genre pour accélérer la narration à certains moments, sans avoir à répéter lourdement des plans typiques et vus des dizaines de fois ailleurs. Mais voilà, Killing Fields manque tout de même d'une atmosphère encore plus happante (puisqu'il met manifestement cette atmosphère au centre de ses préoccupations) sur laquelle ancrer une vision, un parti pris. D'autant que tout du long, plane désormais l'ombre écrasante d'un certain True Detective, qui dans un format différent aura cependant repris les mêmes éléments avec beaucoup plus de viscéralité et de maîtrise. Bref, si je trouve que Killing Fields est peut-être vu par le public d'un œil trop sévère, il souffre vraiment la comparaison avec ses modèles, et ne propose pas de quoi s'imposer durablement à l'esprit. Une denrée comestible, mais rapidement périssable.