Ce dimanche 15 février, nous avons pu assister à l’avant-première de Selma, biographie de Martin Luther King Jr, réalisé par Ava DuVernay et orienté autour de la marche de Selma pour le droit de votes sans entraves des afro-américains. Intelligent, de très bonne facture, Selma n’épargne aucun aspect de ses journées révolutionnaires : les interrogations des dirigeants noirs sur la voie à suivre, les tergiversations de Lyndon Baines Johnson et les intimidations de John Edgar Hoover, directeur du Federal Bureau of Investigation.
Au mois de mars 1965, à l’instigation d’Amelia Boynton Robinson (Lorraine Toussaint), Selma, petite ville de l’Alabama, à majorité noire, devint le lieu de rassemblement des militants des différentes associations de défense des droits civiques. Martin Luther King Jr (David Oyelowo) eu l’idée d’organiser une marche non-violente vers la capitale de l’État, Montgomery. Au terme de deux marches avortés donnant lieu à des exactions violentes de la police, la troisième marche triomphale força le président Johnson (Tom Wilkinson) à réformer au niveau fédéral toutes les infractions aux droits de vote.
Selma explore quasiment toutes les facettes de la lutte pour les droits civiques aux États-Unis. Avec intelligence, l’air de rien, il met le focus sur les actions non-violentes de Martin Luther King sans se priver d’en souligner les ambiguïtés. À travers l’apparition succincte de Malcom X (Nigél Thatch) et les conversations entre Johnson, Hoover (Dylan Baker) et Lee C. White (Giovanni Ribisi). Balayant d’un revers de la main la question d’un journaliste, Martin Luther King ne répondra qu’en privée à son état-major à la question suivante : la non-violence a-t-elle vocation a provoqué la violence ? La réponse est oui, bien entendu. Le but avoué de Luther King était de pousser les blancs racistes, notamment le shérif Jim Clark (Stan Houston) et le gouverneur George Wallace (Tim Roth) a la violence pour pouvoir instrumentaliser la répression et forcer ainsi Johnson a intervenir. Face aux inévitables pertes humaines d’une telle méthode, certain pensaient qu’il fallait rendre les coups, Malcom X en tête. C’est pourquoi Selma s’efforce de livrer une synthèse entre les deux visions que quelques esprits mal intentionnés et d’imminents historiens voudrait parfois opposer. Ainsi, l’entrevue de Malcolm X, juste avant son assassinat, avec Coretta Scott King (Carmen Ejogo) montre des horizons communs malgré des méthodes divergentes. Dans son bureau, Johnson s’inquiète qu’un leader tels que Malcom X prennent la tête du mouvement des droits civiques. La pression de la Nation Of Islam précipita le pouvoir blanc dans les bras de Luther King. Les deux faces de cette même médaille montre l’efficacité de la multiplication des fronts.
Ainsi, dans son bureau ovale, Johnson reçu plusieurs fois Martin Luther King avec le souci permanent que ne s’embrase la révolte propagée par Malcom X. Engagé dans la guerre du Vietnam et souhaitant mettre en place sa politique de « Great Society », un ensemble de loi promouvant la fin de l’ostracisme envers les populations noires, l’aide à l’éducation et un embryon de sécurité sociale, Johnson refusa plusieurs fois au pasteur de se pencher sur les derniers verrous administratifs qui empêchait encore les noirs de voter, arguant qu’il avait déjà aboli la ségrégation avec le « Civil Rights Act ». Certes, la fin de cet apartheid avait été voté par le congrès en 1964 mais dans les États du Sud, la législation en place permettait de mettre en place un grand nombre de discriminations. Le droit de vote restait alors de l’ordre théorique. En toute impunité, aucun meurtre raciste n’était jamais élucidé et pour peu qu’un accusé soit traduit en justice, il était toujours acquitté. Le soir même de la troisième marche de Selma, la militante blanche Viola Liuzzo (Tara Ochs) fut assassinée par des membres du Ku Klux Klan. Sous l’impulsion de Johnson, pressé par l’opinion nationale, acquise majoritairement au mouvement après sa médiatisation sans précédent, les coupables furent arrêtés et jugés. Parmi eux, se trouvait un indicateur du FBI. Le 6 août 1965, Johnson signait le « Voting Right Act », loi fédéral forçant les États américains a supprimé tous critères spécifiques pour voter. N’ayant jamais perdu de vue que la lutte pour les droits civiques était aussi une lutte de classe, les militants afro-américains obtinrent la suppression du vote censitaire qui empêchait encore les plus pauvres de voter dans des états arriérés comme l’Alabama.
Ayant commencé sa funeste carrière en participant aux « Palmer Raids » (série d’expulsions et d’emprisonnements arbitraires menés par Alexander Mitchell Palmer, procureur général des États-Unis, précurseur du Maccarthysme, contre les figures historiques de la gauche américaine entre 1919 et 1920), Hoover, à la tête du FBI utilisa la désinformation et les campagnes de calomnies les plus sales pour diffamer ceux qu’ils considéraient comme des dangers. C’est dans cet optique, qu’il fit mettre sous surveillance et sur écoute les principaux leaders noirs. Évidemment, Martin Luther King fut soigneusement observé. Ava DuVernay met en scène, à travers des sur-inscriptions, les notes déclassifiées du FBI scrutant les moindres faits et gestes du pasteur. Coutumier des méthodes expéditives qu’il a expérimentées pendant la prohibition, Selma ne s’aventure pas trop en prêtant à Hoover des intentions d’assassinats. Ce qui est sur, c’est qu’il tenta de le discréditer en tant que figure morale. Dans Selma est évoqué l’affaire où le prêcheur est questionné par sa femme qui a reçu une lettre de dénonciation accusant King d’être un adultère. David Oyelowo, saisissant de justesse, n’a alors pas l’attitude de quelqu’un de totalement convaincu lorsqu’il nie ses relations extraconjugales. Bien que rien n’ait vraiment été prouvé en ce sens, la bonne idée de Selma est de ne pas y répondre parce qu’au final, on s’en moque. Martin Luther King fut un grand homme qui s’y ce n’était pas celle-là avait certainement des faiblesses. Cela ne fait que le rendre plus humains face au cynisme d’un être amoral comme Hoover.
Selma, sortira le 11 mars 2015 dans les salles françaises. Ne manquez pas cette belle épopée humaine portée par des acteurs géniaux et un scénario complexe laissant à chacun sa juste place et son propre rôle. On n’a rarement vu une biographie d’homme célèbre prendre autant la peine de laisser de la place à ses seconds couteaux. C’est que Luther King ne fut que le fer de lance d’une évolution inexorable ce que compris tardivement et à son corps défendant, le président Hoover. Preuve s’il en est que l’on obtient rien en attendant, inactif, que le ciel veuille bien nous le donner. Seule la lutte a permis aux damnés de la terre de Selma de s’élever davantage.
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