« Selma », le film de Ava DuVernay, a une première qualité à mes yeux : même si il met en scène Martin Luther King en premier rôle (et sauf erreur de ma part, çà n’était jamais arrivé au cinéma), ce n’est pas un biopic qui commencerait par son enfance, puis par son action pour la fin de la ségrégation, le boycott des bus, puis son discours historique à Washington (« I have a dream ») et ainsi de suite jusqu’à son assassinat à Memphis en 1968. Non, DuVernay concentre son film sur 1965 et c’est çà, la bonne idée : la lutte contre la ségrégation est finie, légalement tous les noirs ont les mêmes droits que les blancs. Après le Prix Nobel, on pourrait penser que le plus dur est fait mais, dans les faits, quasiment aucun noir ne peut voter, ne peut être élu, ne peut être juré à un procès, du moins dans tous les Etats du Sud. Johnson pense avoir fait le principal et veut temporiser au maximum, la guerre du Vietnam étant sa priorité. DuVernay ne met pas en scène un portrait mais un combat. Du coup, son film, qui fait plus de deux heures est sans longueurs, sans scènes superflues, sans passages obligés, ces petites scories qui parfois encombrent les biopics. La charge émotionnelle est palpable, dans la façon de filmer et dans l’engagement des acteurs : les scènes de protestations, les affrontements avec la police, les scènes de violences (parfois difficiles à regarder), les scènes de discours aussi, j’y reviendrais… La mise en scène est très sobre, il n’y a pas d’effets de camera ou de créativité débridée. DuVernay utilise la musique à bon escient (il y a beaucoup de musique, et de la bonne musique, mais elle la place de façon discrète et efficace). Elle évite le pathos autant qu’elle le peut, même si c’est parfois difficile, avec un sujet si fort. Elle se laisse un peu déborder par son émotion, telle scène est un peu trop appuyée, tel dialogue est un peu trop lourd ou trop long mais, honnêtement, ce serait injuste de le lui reprocher. Elle met en scène Luther King, ce qui est terriblement fort et important pour énormément d’américains, et pas seulement pour les afro-américains. Elle le met en scène comme un homme qui combat, au charisme hors du commun, un homme habité par le sens de l’Histoire, mais aussi comme un homme qui doute et qui doit lutter contre le découragement, comme un homme qui recule parfois aussi, qui déçoit. On n’est pas dans l’hagiographie même si le Docteur King fait preuve d’une détermination et d’un courage physique qui ne peuvent que forcer le respect. On peut mettre toutes les nuances qu’on veut quand on filme Martin Luther King, on en revient toujours forcément à cela, et c’est bien normal. J’imagine facilement la pression que David Olelowo a du ressentir en acceptant ce rôle, comment ne pas avoir peur d’être écrasé, comment ne pas avoir peur de décevoir, de dénaturer. Il est excellent, en dépit de la pression qu’il a du s’auto-infliger, j’imagine. Dans les scènes de discours ou de sermon, il est même époustouflant de lyrisme, de conviction, de force, çà donne des frissons, comme si dans ces scènes il était habité par son illustre personnage. A ses côtés, tous les acteurs, noirs ou blancs, habitent leur rôle avec une conviction qui se voit à l’écran. Lorraine Toussaint, Carmen Ejogo, Cuba Gooding Jr, Ophah Winfrey, tous semble conscient d’interpréter des gens hors du commun, des héros à taille humaine. Les acteurs blancs sont un peu plus discrets, on appréciera Tom Wilkinson et surtout Tim Roth, toujours parfait dans les rôles de salopard ! L’utilisation parcimonieuse mais importante des images d’époque apporte encore de l’émotion à un film qui n’en manquait pourtant pas. Juste avant le générique de fin, le discours de Montgomery est mis en scène de façon intéressante, très émouvante. Bref, je trouve bien peu de choses à redire sur « Selma », film évidemment engagé, film qui touche tous ceux qui croient encore aux valeurs simples de l’égalité, du vote, de l’engagement, les fameux droit-de-l’hommiste, probablement. Peut-être déplaira il aux cyniques et aux « revenus de tout » mais qu’importe, tans pis pour eux…